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Robin
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Molière, Le Misanthrope, "Alceste ou le refus" Empty Molière, Le Misanthrope, "Alceste ou le refus"

par Robin Mar 31 Aoû 2010 - 14:11
[justify][justify] [b]La passion d'Alceste pour Célimène le pousse à excéder certaines limites. Alceste refuse la dimension sociale, rêve d'un "enfermement à deux" (la proposition faite à Célimène de vivre au désert à la fin de la pièce) ; en général, d'une façon plus large, comment ce refus se manifeste-t-il ?

Il se manifeste dès la première scène entre Alceste et Philinthe ; Philinthe emploie le mot "bizarrerie" ("Mais encor, dites moi, quelle bizarrerie..."). Avec le mot "bizarrerie", c'est-à-dire "qui s'écarte des usages reçus", tout de suite, le "ton" du caractère d'Alceste est donné.

Alceste se montre violent, brutal, il manifeste de l'aigreur, il agit contrairement aux "usages". Comment ?

a) Dans son comportement (cf. les didascalies : "se levant brusquement")

b) Dans son langage, ses propos violents, excessifs adressés à Philinte, son ami, notamment au début de la pièce, par l'emploi d'un vocabulaire archaïque condamné par l'usage de la cour.

c) Dans les accusations qu'il adresse à Philinte ; Alceste s'écarte des usages reçus et voudrait que Philinte en fasse autant.

La sincérité d'Alceste, son exigence de sincérité absolue :

"Je veux qu'on soit sincère et qu'en homme d'honneur,
On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur."

Cette exigence de sincérité absolue entre en conflit avec l'usage.

C'est ce que lui répond Philinte :

"Lorsqu'un homme vous vient embrasser avec joie,

Il faut bien le payer de la même monnoie,
Répondre comme on peut à ses empressements,
Et rendre offre pour offre et serments pour serments."

(vers 37-40)

Alceste discerne, avec raison, l'absence de sentiment vrai, la caractère factice et mécanique de cette politesse (voir vers 39-64 la satire des mœurs de la cour).

Alceste refuse de distinguer, comme le fait Philinte, entre "l'extérieur" et "l'intérieur", il refuse absolument les usages.

Le pur mondain (Arsinoé, Oronte, les marquis, Célimène) n'est que politesse extérieure, Philinte (et Eliante) savent faire la différence entre l'extérieur et l'intérieur, respecter les formes extérieures de la politesse, tout en restant sincères. Alceste, lui pose l'équation "politesse = hypocrisie".

Dans une société très sensible au ridicule, "l'honnête homme" doit éviter le ridicule (cf. vers 73-80) en observant la bienséance.

Alceste est un "inadapté" :

"Mes yeux sont trop blessés, et la cour et la ville
Ne m'offrent rien qu'objets à m'échauffer la bile."

(on se souvient que le titre complet de la pièce est "Le Misanthrope ou l'atrabilaire amoureux")

... qui refuse la société dans laquelle il vit, dresse un réquisitoire contre elle et se propose de l'attaquer.

"Je n'y puis plus tenir, j'enrage, et mon dessein
Est de rompre en visière à tout le genre humain."

"rompre en visière" est un terme de chevalerie, de tournoi : rompre sa lance dans la visière de son adversaire au cours d'un tournois, c'est-à-dire l'attaquer en face. Alceste est un homme du passé, égaré au milieu des salons du XVIIème siècle.

Il appartient psychologiquement à une époque antérieure à celle de Louis XIV, qui commence avec Louis XIII et Richelieu avec la domestication de la noblesse, l'interdiction des duels, la centralisation. Il n'accepte pas de vivre à une époque où le théâtre, la comédie, les ballets remplacent les tournois et de participer à une "guerre" où le roi est le personnage central, le seul vainqueur autorisé.

Alceste suit un autre code, celui de la chevalerie idéalisée ; il ressemble, par beaucoup de côtés, au Don Quichotte de Cervantès et a tendance à se battre, comme "le chevalier à la triste figure" contre des moulins à vent.

La discussion "philosophique" entre Alceste et Philinte (vers 102 et suiv.) porte sur la question des normes sociales de l'époque et du temps.

Le "christianisme" d'Alceste relève d'une religion des anciens âges. Il y a chez lui quelque chose de radical :

"Et n'avoir pas pour eux ces haines vigoureuses
Que doit donner le vice aux âmes vertueuses..."

Alceste ne manque pas de lucidité. Son "franc scélérat" rappelle le personnage de Tartufe.

Le thème du désert revient souvent chez Alceste ; il y a chez lui une attitude "érémitique", une recherche de la solitude : "fuir dans le désert l'approche des humains".

"La théologie" d'Alceste est une théologie de la chute qui relève du dogme du péché originel, mais avec la conviction d'une corruption irrémédiable, sans salut possible. (cf. vers 118) ; nous sommes bien au-delà du Jansénisme.

Celle d'Alceste se rapprocherait du quiétisme (Fénelon) :

"Et voyons ses défauts avec quelque douceur"

La vertu de Philinte est une "vertu traitable", il y a chez lui un certain scepticisme (Montaigne).

A la "raideur des vertus des vieux âges", il oppose l'idéal de "l'honnête homme". (cf. vers 151)

Philinte est un "cartésien" (cf. Descartes, Discours de la Méthode : "Et je tâchais à me vaincre plutôt que la fortune et à changer mes désirs que l'ordre du monde.")

A cette sagesse éternelle s'oppose l'esprit "révolutionnaire" d'Alceste (cf. J.J. Rousseau et la lecture romantique du "Misanthrope")

Philinte, modèle de "l'honnête homme" parfaitement adapté à la société de son temps. (cf. vers 159)

Le refus des usages et l'inadaptation d'Alceste apparaît également dans la façon dont il "s'occupe" (si l'on peut dire) de son procès (cf. vers 184-185) ; à la naïveté d'Alceste s'oppose la méchanceté et la malignité des courtisans sous le masque de la politesse (cf. Jean de la Fontaine, "Les animaux malades de la peste").

Alceste est un "prosélyte", il veut "convertir" les autres à la religion de la sincérité, faire partager ses convictions, ses valeurs, à Philinte et à Célimène.

"Sa grâce est la plus forte, et sans doute ma flamme
de ces vices du temps pourra purger son âme." (vers 233-34)

Alceste se montre exclusif, jaloux, exigeant, accapareur, d'une franchise brutale avec Célimène. Cette attitude est totalement contraire aux usages du temps, en particulier à la courtoisie précieuse ; la préciosité implique une dimension ludique (le jeu amoureux, la carte du Tendre) qui ajourne l'aveu ; Alceste veut obliger Célimène à lui avouer qu'elle l'aime.

Il ne veut pas entendre parler des obligations d'une femme du monde. Dans "La Princesse de Clèves", Monsieur de Clèves, après la scène de l'aveu, refuse que son épouse se retire à la campagne, il l'oblige même à continuer à recevoir Monsieur de Nemours.

Dans un siècle qui refuse la passion (cf. Descartes, "Le Traité des Passions de l'âme", Racine, le Jansénisme), qui est unanime à la condamner et pour lequel la passion est une "maladie de l'âme", la passion qu'il éprouve envers Célimène est totalement contraire aux usages.

En résumé :

Le refus des normes sociales de son milieu et de son temps se manifeste chez Alceste :

1) Par sa conception de la sincérité et son refus de la "politesse mondaine" (Philinte, Oronte)

2) Dans son refus de la médisance et de l'hypocrisie (Célimène, les petits marquis, Philinte, Arsinoé)

3) Dans son refus de "l'intrigue" (Oronte, Arsinoé)

4) Dans son attitude par rapport à son procès

5) Dans sa passion pour Célimène


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