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Platon, République, VII, L'allégorie de la caverne (explication et commentaire) Empty Platon, République, VII, L'allégorie de la caverne (explication et commentaire)

par Robin Jeu 9 Aoû 2012 - 21:46
Platon (en grec ancien Πλάτων / Plátôn, né à Athènes en 428-427 av. J.-C., mort en 348-347 av. J.-C.) est un philosophe grec, contemporain de la démocratie athénienne et des sophistes, qu'il critiqua vigoureusement. Il reprit le travail philosophique de certains de ses prédécesseurs, notamment Socrate, Parménide, Héraclite et Pythagore, afin d'élaborer sa propre pensée qui explore la plupart des champs importants, notamment la métaphysique, l'éthique, l'esthétique et la politique.

Son œuvre, composée presque exclusivement de dialogues, est d'une grande richesse de style et de contenu, et produit, sur de nombreux sujets, les premières formulations classiques des problèmes majeurs de l'histoire de la philosophie occidentale. Chaque dialogue de Platon interroge un sujet donné, par exemple le beau ou le courage. La pensée de Platon n'est pas monolithique : une partie de ses dialogues aboutissent à des apories philosophiques, et ses dialogues qui apportent une solution aux problèmes posés ne constituent pas une réponse unique et définitive.

Platon est l'inventeur de la théorie des Formes, qu'on appelle plus communément théorie des Idées : celle-ci interprète le monde sensible comme un ensemble de réalités participant de leurs modèles immuables. La Forme suprême est, selon le contexte, tantôt le Bien, tantôt le Beau. La philosophie politique de Platon considère que la Cité juste doit être construite selon le modèle du Bien en soi.

L'allégorie de la caverne est exposée par Platon dans le Livre VII de La République. Elle met en scène des hommes enchaînés et immobilisés dans une demeure souterraine qui tournent le dos à l'entrée et ne voient que leurs ombres et celles projetées d'objets au loin derrière eux. Elle expose en termes imagés la pénible accession des hommes à la connaissance de la vérité.

SOCRATE (S.) - Maintenant, représente-toi notre nature selon qu'elle a été instruite ou ne l'a pas été, sous des traits de ce genre: imagine des hommes dans une demeure souterraine, une caverne, avec une large entrée, ouverte dans toute sa longueur à la lumière: ils sont là les jambes et le cou enchaînés depuis leur enfance, de sorte qu'ils sont immobiles et ne regardent que ce qui est devant eux, leur chaîne les empêchant de tourner la tête. La lumière leur parvient d'un feu qui, loin sur une hauteur, brûle derrière eux; et entre le feu et les prisonniers s'élève un chemin en travers duquel imagine qu'un petit mur a été dressé, semblable aux cloisons que des montreurs de marionnettes placent devant le public, au-dessus desquelles ils font voir leurs marionnettes.

GLAUCON (G.) - Je vois.

S. - Imagine le long du mur des hommes qui portent toutes sortes d'objets qui dépassent le mur; des statuettes d'hommes et d'animaux, en pierre, en bois, faits de toutes sortes de matériaux; parmi ces porteurs, naturellement il y en a qui parlent et d'autres qui se taisent.

G. - Voilà un étrange tableau et d'étranges prisonniers.

S. - Ils nous ressemblent. Penses-tu que de tels hommes aient vu d'eux-mêmes et des uns et des autres autre chose que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait face ?

G. - Comment cela se pourrait-il, en effet, s'ils sont forcés de tenir la tête immobile pendant toute leur vie ?

S. - Et pour les objets qui sont portés le long du mur, est-ce qu'il n'en sera pas de même ?

G. - Bien sûr.

S. - Mais, dans ces conditions, s'ils pouvaient se parler les uns aux autres, ne penses-tu pas qu'ils croiraient nommer les objets réels eux-mêmes en nommant ce qu'ils voient ?

G. - Nécessairement.

S. - Et s'il y avait aussi dans la prison un écho que leur renverrait la paroi qui leur fait face? Chaque fois que l'un de ceux qui se trouvent derrière le mur parlerait, croiraient-ils entendre une autre voix, à ton avis, que celle de l'ombre qui passe devant eux?

G. - Ma foi non.

S. - Non, de tels hommes ne penseraient absolument pas que la véritable réalité puisse être autre chose que les ombres des objets fabriqués.

G. - De toute nécessité...


Les prisonniers ont le visage tourné vers la paroi de la caverne. Ils perçoivent leurs propres ombres, des ombres d'objets et des échos de voix.

Socrate précise qu'ils sont enchaînés depuis leur enfance pour faire comprendre que les ombres et les échos sont la seule réalité qu'ils connaissent. Il aurait pu dire aussi "depuis la naissance".

Les ombres proviennent des objets qui dépassent du mur ("statuettes d'hommes et de divers animaux") projetés sur la paroi de la caverne par un feu qui se trouve sur une hauteur, les échos sont la réverbération sur la paroi de la caverne des paroles des gens qui passent sur le chemin.

Les ombres et les échos sont interprétés comme étant des objets et des sons "véritables".

Socrate affirme que ces prisonniers nous ressemblent parce que nous sommes, nous aussi "prisonniers" ; prisonniers du monde sensible : nous prenons ce que nous pouvons voir, entendre, sentir et toucher pour l'unique réalité et parce que nous sommes "enchaînés" à nos corps.

Nous sommes également "prisonniers" de l'opinion (la doxa), des idées toutes faites, des préjugés (les échos des voix), de tout ce que nous avons appris sur le monde depuis notre enfance et que nous avons accepté sans examen.

Les prisonniers ne sont ni malheureux, ni révoltés parce qu'ils ne connaissent que le monde dans lequel ils vivent. Il ne leur vient pas à l'esprit qu'il existe un autre monde, plus lumineux, plus vaste, plus beau et plus libre.

Platon nous montre que l'illusion est autre chose que l'erreur. L'illusion ne relève pas de la connaissance pure, mais du refus de se déprendre de l'évidence comme "immersion auto-satisfaite dans la totalité substantielle du sens".

Dans un commentaire récent de La République de Platon, Alain Badiou nous propose une transposition du début de l'allégorie de la caverne : «Imaginez une gigantesque salle de cinéma. En avant l’écran, qui monte jusqu’au plafond, mais c’est si haut que tout ça se perd dans l’ombre, barre toute vision d’autre chose que de lui-même. La salle est comble. Les spectateurs sont, depuis qu’ils existent, emprisonnés sur leurs sièges, les yeux fixés sur l’écran, la tête tenue par des écouteurs rigides qui leur couvrent les oreilles…»

L'illusion est le produit de l'imitation, de l'instinct grégaire, de l'éducation, du temps et de l'habitude. On verra dans la suite du texte que les prisonniers ne renoncent pas facilement (et la plupart, pas du tout) à leurs illusions (les ombres et les échos) ; le prisonnier délivré souffre de regarder les objets (la lumière lui blesse les yeux) et il va jusqu'à regretter son ancienne existence ; lorsqu'il redescend dans la caverne, ses anciens compagnons de captivité se moquent de lui et songent même à le mettre à mort.

On distingue traditionnellement l'illusion de l'erreur. Une illusion est une perception vraie, par exemple le fait de percevoir le soleil plus grand à l'horizon qu'au zénith ou tournant autour de la terre sont des illusions, mais non des erreurs.

Il n'y a à proprement parler "erreur" qu'à partir du moment où je porte un jugement sur ce que je perçois. Par exemple si j'en infère que le soleil grossit réellement à l'horizon ou qu'il tourne réellement autour de la terre.

S. Freud distingue, lui aussi l'erreur de l'illusion : l'illusion, selon lui, est une production du désir ; par exemple Christophe Colomb désirait atteindre le continent indien par voie maritime et en accostant sur le continent américain, il pensa qu'il avait réellement réalisé son désir. Selon Freud, Christophe Colomb était dans l'illusion, plutôt que dans l'erreur.

L'erreur est plus facile à dissiper que l'illusion parce qu'elle est moins ancrée dans les habitudes et l'affectivité humaine, moins liée au désir.

Les prisonniers dans la caverne sont à la fois dans l'erreur : ils pensent que les ombres sont des objets véritables et dans l'illusion : ils désirent que les ombres soient des objets véritables (une fois l'erreur dissipée, ils regrettent qu'ils ne le soient pas).


Socrate. - Envisage maintenant ce qu'ils ressentiraient à être délivrés de leurs chaînes et à être délivrés de leur ignorance...

L'éducateur fait usage d'une certaine violence vis-à-vis du prisonnier : "si l'un d'eux était délivré et forcé soudain de se lever...", " lorsque enfin, en lui montrant chacun des objets qui passent, on l'obligerait à force de questions, à dire ce que c'est...", "Si on le forçait à regarder la lumière elle-même..."

Cette violence s'exerce sur trois points :

- Obliger le prisonnier à se lever, à tourner le cou, à marcher vers la lumière.
- Obliger le prisonnier "à force de questions" à nommer les objets "véritables".
- Obliger le prisonnier à regarder la lumière elle-même.

L'éducateur doit utiliser la coercition parce que chacune de ces démarches représente une souffrance pour le prisonnier. Il ne les accomplit pas volontiers et s'il ne tenait qu'à lui, il ne quitterait pas la caverne.

Le prisonnier trouve que "ce qu'il voyait auparavant était plus véritable que ce qu'on lui montre maintenant" parce qu'il ne parvient pas à sortir de ses habitudes, à accéder à des perceptions nouvelles, à une nouvelle compréhension de la réalité . Paradoxalement, c'est ce qu'il y a de moins "réel" (les ombres et les échos) qu'il prend pour le réel (les objets eux-mêmes).

Le prisonnier veut fuir vers le monde sous-terrain, vers la caverne, parce que le monde de la caverne est le monde familier et "rassurant" où il a grandi, où ses yeux ne sont pas blessés par la lumière du jour, où il a appris à se repérer.

C'est le philosophe qui pourrait délivrer le prisonnier de ses chaînes. Platon pense évidemment à Socrate. Les chaînes symbolisent le corps, les habitudes, les préjugés, les opinions.

La délivrance est une expérience décevante parce que le "monde sensible", celui que nous percevons à travers nos sens nous semble beaucoup plus vrai que le "monde intelligible" que nous percevons à travers notre esprit. Un homme nous semble plus "réel", plus "concret" que l'idée d'homme ; un triangle tracé sur un tableau que l'idée de triangle...

L'allégorie de la caverne montre qu'il est très difficile de libérer les hommes contre leur volonté. On ne peut que les aider à se libérer eux-mêmes, mais encore faut-il qu'ils en aient envie. Emmanuel Kant disait qu'il n'y a qu'une seule chose véritablement sainte en ce monde : la bonne volonté.

Socrate. - Mais si on les traînait de force tout au long de la montée rude, escarpée, et qu'on ne le lâchât pas avant de l'avoir tiré dehors à la lumière du soleil, ne penses-tu pas qu'il souffrirait et s'indignerait d'être ainsi traîné et que, une fois parvenu à la lumière du jour, les yeux pleins de son éclat, il ne pourrait pas discerner un seul des êtres appelés maintenant véritables ?...

Il faut user de violence pour délivrer le prisonnier car il est habitué à l'obscurité et la lumière du soleil lui blesse les yeux. On lui demande de gravir une pente, alors qu'il n'a jamais marché et de regarder la lumière du soleil, alors qu'il a vécu dans l'obscurité depuis son enfance.

Platon fait une différence entre "regarder" (théorein) et "contempler" (noéin) : le prisonnier délivré regarde les ombres, les reflets, les objets et les êtres, mais contemple le objets célestes (la lune et les étoiles), le ciel et le soleil. Le prisonnier délivré regarde les objets du monde d'en-bas, mais contemple les objets du monde d'en-haut. On regarde avec les yeux du corps, on contemple avec les yeux de l'esprit.

Le prisonnier est passé successivement par les étapes suivantes : les ombres et les échos, le feu, la lumière du soleil, les ombres et les reflets des objets eux-mêmes sur l'eau, les êtres eux-mêmes, les objets célestes et le ciel lui-même, le reflet du soleil dans les eaux, le soleil lui-même.

Il interprète son état premier comme une illusion ; il comprend qu'il y a des vérités plus véritables que les ombres et les échos.

La vraie connaissance ne se contente pas des apparences, elle n'est pas donnée mais acquise. Elle suppose un effort, une ascèse intellectuelle. Elle est opposée à l'opinion (doxa), aux préjugés, aux illusions des sens, aux habitudes.

Le soleil symbolise l'Idée du Bien. On ne peut voir l'Idée du Bien avec les yeux du corps. Il faut la contempler avec les yeux de l'esprit.


Socrate. - Après cela il en arriverait à cette réflexion, au sujet du soleil, que c'est lui qui produit les saisons et les années, qu'il gouverne tout dans le monde visible, et qu'il est la cause, d'une certaine manière, de tout de que lui-même et les autres voyaient dans la caverne...

Le prisonnier délivré se met à réfléchir à la cause première de toutes choses : le soleil ; il est heureux à présent de son changement et il se met à plaindre ses anciens compagnons... Il n'envie pas les honneurs qu'ils se décernent les uns aux autres. La prétendue "science" qui est à l'honneur dans la caverne est la sophistique.

Platon souligne que n'importe quelle situation est meilleure que la vie dans la caverne : "Il préférerait être un valet de ferme au service d'un paysan pauvre plutôt que de partager les opinions de là-bas et de vivre comme on y vivait" car il a vu les réalités véritables ; il lui faudrait se réhabituer à l'immobilité et aux ombres, alors qu'il a découvert la liberté et la lumière.

"Opinion" vient du latin "opinari" qui signifie émettre une opinion. Une opinion est un avis, un jugement porté sur un sujet qui ne relève pas d'une connaissance rationnelle vérifiable, mais d'un système de valeurs.

Dans Le Ménon, Platon reconnaît à l'opinion droite la faculté d'éclairer l'action humaine.

Toutefois, l'opinion est traditionnellement considérée comme un genre de connaissance peu fiable, fondée sur des impressions, des sentiments, des croyances ou des jugements de valeur subjectifs.

Pour Spinoza, l'opinion est sujette à l'erreur car "elle n'a jamais lieu à l'égard de quelque chose dont nous sommes certains, mais à l'égard de ce que l'on dit conjecturer ou supposer." (Court Traité, chap. III)

Depuis Platon, l'opinion est dénoncée comme a priori douteuse, illusoire ou fausse, voire dangereuse lorsqu'elle cherche à s'imposer en dissimulant la faiblesse de ses fondements sous les dehors de la certitude (par exemple la xénophobie ou le racisme)

Selon Théodor W. Adorno (Modèles critiques, 1963), "l'opinion s'approprie ce que la connaissance ne peut atteindre pour s'y substituer, elle rassure à bon compte parce qu'elle offre des explications grâce auxquelles on peut organiser sans con tradition des opinions contradictoires."

Le prisonnier libéré fait rire s'il redescend dans la caverne car sa vue est offusquée par le passage de la lumière à l'obscurité et il ne peut rivaliser avec les prisonniers comme il le faisait auparavant en matière de jugement concernant les ombres.

Les prisonniers se moquent de lui en disant qu'il est revenu de là-haut les yeux gâtés et qu'il ne vaut pas la peine d'y monter. Celui qui prête ainsi à rire ressemble au philosophe, en particulier à Socrate.

"Le vulgaire se moque du philosophe qui tantôt lui paraît dédaigneux, tantôt ignorant de ce qui est à ses pieds et embarrassé sur toutes choses", explique Socrate à son disciple Théodore dans le Thééthète ; il évoque à ce sujet l'anecdote de la servante de Thrace qui se moquait de Thalès qui était tombé dans un puits parce qu'il regardait les astres et ne vit pas le puits qui était sous ses pieds :

L'exemple de Thalès te le fera comprendre, Théodore. Il observait les astres et, comme il avait les yeux au ciel, il tomba dans un puits. Une servante de Thrace, fine et spirituelle, le railla, dit-on, en disant qu'il s'évertuait à savoir ce qui se passait dans le ciel, et qu'il ne prenait pas garde à ce qui était devant lui et à ses pieds. La même plaisanterie s'applique à tous ceux qui passent leur vie à philosopher.

Il est certain, en effet, qu'un tel homme ne connaît ni proche, ni voisin ; il ne sait pas ce qu'ils font, sait à peine si ce sont des hommes ou des créatures d'une autre espèce ; mais qu'est-ce que peut être l'homme et qu'est-ce qu'une telle nature doit faire ou supporter qui la distingue des autres êtres, voilà ce qu'il cherche et prend peine à découvrir. Tu comprends, je pense, Théodore ; ne comprends-tu pas ?

THÉODORE
Si, et je pense que tu dis vrai.

SOCRATE

Voilà donc, ami, comme je le disais en commençant, ce qu'est notre philosophe dans les rapports privés et publics qu'il a avec ses semblables. Quand il est forcé de discuter dans un tribunal ou quelque part ailleurs sur ce qui est à ses pieds et devant ses yeux, il prête à rire non seulement aux servantes de Thrace, mais encore au reste de la foule, son inexpérience le faisant tomber dans les puits et dans toute sorte de perplexités. Sa terrible gaucherie le fait passer pour un imbécile.

Dans les assauts d'injures, il ne peut tirer de son cru aucune injure contre personne, parce qu'il ne connaît aucun vice de qui que ce soit, faute d'y avoir prêté attention ; alors il reste court et paraît ridicule.

Quand les gens se louent et se vantent, comme on le voit rire, non pour faire semblant, mais tout de bon, on le prend pour un niais. Entend-il faire l'éloge d'un tyran ou d'un roi, il s'imagine entendre exalter le bonheur de quelque pâtre, porcher, berger ou vacher, qui tire beaucoup de lait de son troupeau. Il croit d'ailleurs que les rois paissent et traient un bétail plus rétif et plus traître que les bestiaux du pâtre, et que, faute de loisir, ils deviennent tout aussi grossiers et ignorants que les bergers, renfermés qu'ils sont dans leurs remparts, comme ceux-ci dans leurs parcs de montagne.

Entend-il parler d'un homme qui possède dix mille plèthres de terre comme d'un homme prodigieusement riche, il trouve que c'est très peu de chose, habitué qu'il est à jeter les yeux sur la terre entière.

Quant à ceux qui chantent la noblesse et disent qu'un homme est bien né parce qu'il peut prouver qu'il a sept aïeux riches, il pense qu'un tel éloge vient de gens qui ont la vue basse et courte, parce que, faute d'éducation, ils ne peuvent jamais fixer leurs yeux sur le genre humain tout entier, ni se rendre compte que chacun de nous a d'innombrables myriades d'aïeux et d'ancêtres, parmi lesquels des riches et des gueux, des rois et des esclaves, des barbares et des Grecs se sont succédé par milliers dans toutes les familles.

Qu'on se glorifie d'une série de vingt-cinq ancêtres et qu'on fasse remonter son origine à Héraclès, fils d'Amphitryon, il ne voit là qu'une étrange petitesse d'esprit. Le vingt-cinquième ancêtre d'Amphitryon, et le cinquantième ancêtre de ce vingt-cinquième furent ce que le hasard les fit, et le sage se moque de ceux qui ne peuvent faire ce calcul ni débarrasser leur esprit de cette sotte vanité.

Dans toutes ces circonstances, le vulgaire se moque du philosophe, qui tantôt lui paraît dédaigneux, tantôt ignorant de ce qui est à ses pieds et embarrassé sur toutes choses.

Le prisonnier libéré pourrait parler aux prisonniers enchaînés du monde d'en haut, du feu, des objets, du soleil et de la lumière et essayer de les délivrer, mais à ses risques et périls : "celui qui s'aviserait de les délier et de les emmener là-haut, celui-là, s'ils voulaient s'en emparer et le tuer, ne le tueraient-ils pas ?"

La science qui est en l'honneur au sein de la caverne permet :

a) de distinguer avec précision les ombres qui se présentent.

b) de se rappeler le mieux l'ordre de passage des ombres ("celles qui avaient l'habitude de passer les premières, les dernières ou ensemble").

c) de présager à partir de ces observations ce qui doit arriver.

Cette "science" réside donc dans l'observation des "apparences", dans la mémorisation et dans la conjecture. Elle permet de regarder, de se souvenir et de prévoir ; son origine réside dans la sensation et dans l'habitude.

Platon met en évidence le fait que la connaissance n'est pas neutre, qu'elle est un enjeu de pouvoir. Si les prisonniers refusent d'être libérés c'est d'une part parce qu'ils n'ont pas le sentiment d'être prisonniers, d'autre part qu'ils ont acquis une expertise, une maîtrise qu'ils ne veulent pas perdre dans le domaine limité qui est le leur.

Socrate n'est pas seulement victime de l'ignorance, mais aussi du mensonge, de l'orgueil, de la jalousie et de la violence. (cf. Platon, L'apologie de Socrate et Le Phédon)

Le prisonnier délivré est un objet de risée et de colère et ils pressentent en lui un danger. Platon met en évidence l'importance de la dimension collective de l'erreur et de l'illusion : est tenu pour vrai ce que croient la plupart des gens. Le savoir du prisonnier délivré est donc tenu pour vain, illusoire et erroné parce qu'il ne pense pas comme les autres.

Socrate. - Ce tableau, cher Glaucon, il faut l'appliquer entièrement à ce qu'on a dit auparavant : en assimilant le monde visible au séjour de la prison, et la lumière du feu au rayonnement du soleil...

Socrate va maintenant procéder à l'explication de l'allégorie de la caverne... Une allégorie (du grec : ἄλλον / állon, « autre chose », et ἀγορεύειν / agoreúein, « parler en public ») est une forme de représentation indirecte qui emploie une chose (une personne, un être animé ou inanimé, une action) comme signe d'une autre chose, cette dernière étant souvent une idée abstraite ou une notion morale difficile à représenter directement.

En littérature, l'allégorie est une figure rhétorique qui consiste à exprimer une idée en utilisant une histoire ou une représentation qui doit servir de support comparatif. La signification étymologique est : « une autre manière de dire », au moyen d'une image figurative ou figurée.

a) La caverne ("le séjour de la prison") correspond au monde visible (et au corps)

b) La lumière du feu au rayonnement du soleil

c) La montée et la contemplation des réalités d'en-haut correspond à l'ascension de l'âme vers le monde intelligible.

d) Le soleil correspond à l'Idée du bien qui engendre la lumière et sa source (le soleil) dans le monde visible et l'intelligence et la vérité (aléthéia) dans le monde intelligible, le monde des Idées.

Socrate distingue donc deux mondes : le monde sensible et le monde intelligible. La contemplation de "l'idée de Bien" permet d'agir "sagement dans la vie privée comme dans la vie publique" parce qu'elle est "la cause universelle de tout ce qu'il y a de rectitude et de beauté dans le monde."

Il n'y a, selon Platon, que ceux qui ont vu la Justice elle-même qui peuvent distinguer la Justice de l'ombre de la Justice.

Lorsque le prisonnier évadé revient dans la caverne, il ne peut pas à proprement parler démontrer que les autres prisonniers sont dans l'illusion. Autrement dit, il ne dispose pas d'une norme, d'un critère qu'il pourrait mécaniquement appliquer sur les ombres qui se manifestent sur les parois de la caverne en révélant ainsi leur caractère illusoire.

Le seul moyen de savoir, pour les autres prisonniers, si ce que dit l'évadé est vrai ou faux c'est de se détacher de leur lien et d'aller voir par eux-même si la vérité est telle que l'évadé la décrit.

Ainsi, il n'existe pas à proprement parler de critère de la vérité matérielle qu'on pourrait appliquer systématiquement sur nos représentations de manière à savoir si elles sont vraies ou fausses. Par conséquent, la recherche de la vérité n'est pas un simple exercice intellectuel. C'est d'abord un double exercice spirituel qui consiste en la conversion radicale de notre faculté de penser et de notre mode de connaissance.

Cet exercice demande à la fois de se dégager de l'opinion et de rechercher la satisfaction dans l'être plutôt que dans l'avoir. Au terme de cette aventure spirituelle, la vérité ne se reconnaît pas au seul moyen d'un critère, elle se montre dans son évidence. C'est dans cet esprit que Spinoza affirmait « verum index sui », la vérité est à elle même son propre critère.

C'est celui qui a contemplé les réalités d'en-haut, le philosophe, le mystique, l'artiste... qui assimile le monde visible à une prison. Une prison est un endroit obscur où règnent les ombres, un lieu de souffrance et d'expiation. Nous sommes "jetés" ici-bas dit Pascal, nous y faisons l'expérience physique et morale de la "limite"... Dans une lettre à son frère Théo, Vincent Van Gogh dit qu'il se sent dans une "prison étroite, très étroite".

"il y a deux sortes de troubles de la vue, dus à deux causes différentes." (l. 26-27) : le premier dysfonctionnement est causé par le passage de l'obscurité à la lumière, le second par le passage de la lumière à l'obscurité. On ne peut pas savoir d'emblée pour quelle raison une âme humaine est troublée et incapable de discerner quelque chose : soit cette âme provient d'une "existence plus lumineuse" et passe du savoir à l'ignorance, soit elle vient de l'obscurité de la caverne et passe de l'ignorance au savoir. Dans le premier cas, il faut la plaindre, dans l'autre, il faut s'en réjouir.

Le philosophe qui a contemplé l'Idée du Bien a pour mission de délivrer les autres hommes parce qu'il en va du salut de la Cité. Il peut le faire, comme Socrate en faisant prendre conscience aux hommes qu'ils sont dans l'illusion, que leur savoir est un faux savoir, en les incitant, à temps et à contre temps, à chercher la vérité et en donnant, jusque dans la mort, le témoignage d'une vie philosophique exemplaire, ou comme Platon, en écrivant l'allégorie de la caverne, en parlant des "choses d'en-haut" et en fondant l'Académie.

"Contemplare atque aliis contemplata tradere" (contempler et transmettre aux autres ce que l'on a contemplé) dira saint Thomas d'Aquin quelques siècles plus tard, à l'instar de Platon : se livrer à la contemplation dans le cloître, mais aussi et surtout, transmettre aux autres dans le siècle ce qui a été contemplé, idéal de vie religieuse (propositum) mixte, mêlant vita activa et contemplatio que saint Thomas considère comme le "summum gradus in religiosibus".

Car ceux-là seuls qui se sont approchés du Feu peuvent en attiser la nostalgie.

S. - Il faut, si tout cela est vrai, penser alors ceci que l'éducation n'est pas ce que certains prétendent qu'elle est. Ils disent introduire la science dans l'âme, où elle n'est point, comme ils introduiraient la vue dans des yeux aveugles...

Socrate critique la conception de l'éducation des sophistes pour lesquels elle consiste à introduire des connaissances dans une âme vide. Pour Platon, au contraire, la faculté d'apprendre réside dans l'âme de chacun , si bien qu'éduquer ne consiste pas à enseigner des connaissances, mais à détourner l'organe de la connaissance dans l'âme du devenir pour le tourner vers l’Être et vers ce qui, dans l’Être est le plus lumineux, à savoir le Bien. L'âme n'est pas vide, elle possède déjà la vue, mais elle est mal dirigée.

L'âme peut se tourner vers les réalités véritables par l'exercice et les bonnes habitudes car les vertus de l'âme ressemblent aux vertus du corps.

L'éducation permet la conversion (du latin convertere, tourner vers) du regard : "tout l'art consiste à faire tourner l'organe de l'intelligence du bon côté."

C'est ainsi que dans Le Thééthète, Socrate n'apprend pas seulement au jeune esclave que pour doubler la surface d'un carré, il faut construire un autre carré à partir de la diagonale du premier, mais il le lui fait découvrir, il l'aide à en comprendre la raison. L'éducation ne consiste pas seulement à transmettre des savoirs, mais à les faire comprendre. Elle ne doit pas seulement faire appelle à la mémoire, mais aussi à l'intelligence. C'est pourquoi les exercices qui font appel au réinvestissement de connaissances acquises (une démonstration mathématique, une explication de textes, une dissertation) sont les plus profitables.

"Éduquer" vient du latin "e (hors de) et ducere (conduire). Pour Platon, l'éducation, (païdéia en grec, de païs, enfant) ce n'est pas seulement le fait de conduire le petit animal humain de la nature vers la culture en lui apprenant des savoirs et des savoir-faire, c'est aussi détourner son regard du devenir, de l'opinion et des apparences pour le tourner vers l’Être véritable (le Vrai, le Beau, le Juste) et par-dessus tout, vers le Bien.

C'est la raison pour laquelle l'éducation ne saurait se borner à la formation de l'intelligence. Dans la dernière partie du texte, Platon montre que "la vertu de la réflexion" peut devenir "utile et avantageuse" ou "inutile et nuisible" selon la manière dont elle est tournée.

Le méchant possède un regard pénétrant, mais ce regard est tourné vers le mal et plus sa vue est pénétrante et plus il fait le mal. Il ne suffit donc pas d'aiguiser l'intelligence, il faut aussi "élaguer" l'âme et "couper dès l'enfance les masses de plomb qui l'alourdissent et qui tournent l’âme vers le bas", c'est-à-dire les désirs et les passions. Ainsi "élaguée", l'âme considérerait avec la même pénétration les biens véritables que les faux biens vers lesquels elle était tournée.

Réalisé par le peintre Jacques-Louis David, en 1787, le tableau intitulé La mort de Socrate représente la mort du célèbre philosophe grec, condamné par les Athéniens à boire la ciguë pour avoir perverti la jeunesse et introduit de nouveaux dieux dans la cité. Alors que ses amis le pressent de s'enfuir, Socrate préfère la mort, pour faire la preuve que, même dans ces circonstances extrêmes où il est frappé par l'injustice, il reste fidèle aux lois de la cité.

Dans ce tableau, on peut voir :

Socrate, l'index pointé vers le ciel, comme Platon sur le tableau de Raphaël (L'école d'Athènes) qui dialogue avec ses disciples sur l'immortalité de l'âme (cf. Le Phédon de Platon).

On aperçoit à gauche, drapé assis et immobile, tournant le dos à Socrate, Platon qui, d'après les textes, n'aurait pas assisté à sa mort.


S.- Ni ceux qui n'ont reçu aucune instruction et qui sont ignorants de la vérité, ni ceux non plus qu'on a laissé passer toute leur vie à s'instruire, ne sont propres à gouverner une cité ; les uns parce qu'ils n'ont aucun but vers lequel il leur faille tendre dans tous les actes privés ou publics ; les autres, parce qu'ils ne consentiront pas à s'en occuper, pensant être établis, de leur vivant même, dans les îles des Bienheureux...

Les deux catégories de personnes exclues du pouvoir sont donc d'une part ceux qui sont complètement ignorants et d'autre part ceux qui "ont passé leur vie à s'instruire". Les uns et les autres n'ont "aucun but", aucun "télos", notion essentielle chez Platon pour qui l'important est ce en vue de quoi on fait quelque chose.

Les uns ne savent pas ce qu'ils doivent chercher, les autres pensent qu'ils sont arrivés au but et ne cherchent plus rien. Le "philosophos" - littéralement : l'amoureux de la sagesse - diffère du "sophos", du sage en ce qu'il ne prétend pas posséder la sagesse, mais la chercher. Dans Le Banquet, la prêtresse Diotime de Mantinée explique dans le Mythe de Poros et de Pénia, que l’Amour (Éros) n’est pas un Dieu mais un « grand démon » (202d), un être intermédiaire dont la fonction est de lier les mortels aux Immortels.

Sa nature s’explique par son origine : il est le fils de Pauvreté (Penia) et d’Expédient (Poros). L’Amour (Éros) n’est pas délicat et beau mais rude et malpropre et « il n’a pas de gîte, couchant toujours par terre et à la dure, dormant à la belle étoile sur le pas des portes et sur le bord des chemins, car puisqu’il tient de sa mère, c’est l’indigence qu’il a en partage. A l’exemple de son père en revanche, il est à l’affût de ce qui est beau et de ce qui est bon, il est viril, résolu, ardent, c’est un chasseur redoutable ; il ne cesse de tramer des ruses, il est passionné de savoir et fertile en expédients, il passe tout son temps à philosopher, c’est un sorcier redoutable, un magicien et un expert. » (203d).

Selon Diotime, « l’amour a aussi nécessairement pour objet l’immortalité. » (207a) C’est ce qu’exprime l’instinct de procréation que l’on observe chez les animaux et chez les hommes « féconds selon le corps » (208e). C’est ce qu’exprime aussi le désir de gloire immortelle qui préside à l’enfantement de beaux discours par les hommes « féconds selon l’âme » (209a-e).

Cependant, l’immortalité véritable fait l’objet d’une révélation suprême au cours de laquelle Diotime évoque la doctrine platonicienne des Formes intelligibles et montre « la droite voie qu’il faut suivre » (211b) en s’élevant « comme au moyen d’échelons, en passant d’un seul beau corps à deux, de deux beau corps à tous les beaux corps, et des beaux corps aux belles occupations, et des occupations vers les belles connaissances qui sont certaines, puis des belles connaissances qui sont certaines vers cette connaissance qui constitue le terme, celle qui n’est autre que la science du beau lui-même, dans le but de connaître finalement la beauté en soi. » (211c)

Fils de Poros (Richesse) et de Pénia (Pauvreté), Eros se situe donc à mi-chemin entre l'ignorance et la connaissance parfaite. celui qu'il anime est donc tout désigné pour "gravir cette pente dont nous avons parlé", la pente qui mène de l'obscurité de la caverne à la lumière du soleil.

Nous voyons apparaître pour la deuxième fois dans le texte la notion de contrainte : il faut contraindre le prisonnier à tourner la tête, à se lever, à gravir la pente ; il faut aussi "unir les citoyens par la persuasion et par la contrainte" (l. 21).

Après des distinctions conceptuelles, d'une part avec la force contraignante et la persuasion par l'argumentation, et d'autre part avec les tyrannies et les régimes totalitaires, Hannah Arendt (La crise de la culture, "Qu'est-ce que l'autorité ?") explique en quoi la pensée grecque a influencé le concept romain d'autorité, et en particulier le mythe de la caverne de Platon :

"Ce fut après la mort de Socrate, écrit Hannah Arendt (La crise de la culture, "Qu'est-ce que l'autorité ?", Folio Essais, page 142) que Platon commença à négliger la persuasion parce qu'elle était insuffisante pour diriger les hommes et à chercher quelque chose susceptible de les contraindre sans user de moyens externes de violence. Très tôt dans sa recherche, il a dû découvrir que la vérité, en tout cas les vérités que l'on nomme évidentes, contraignent l'esprit, et que cette contrainte, bien qu'elle n'ait pas besoin de violence pour être effective, est plus forte que la persuasion et l'argumentation. L'ennuyeux dans la coercition par la raison, cependant, c'est que seulement un petit nombre y est soumis, si bien que surgit le problème de savoir comment s'assurer que le grand nombre, les gens qui dans leur multitude même constituent le corps politique peuvent être soumis à la même vérité. Ici, assurément, il faut trouver d'autres moyens de coercition, et ici encore il faut éviter la contrainte par la violence si l'on ne veut pas détruire la vie politique telle que les Grecs la comprenaient. C'est la difficulté centrale de la philosophie politique de Platon, et c'est resté une aporie de toutes les tentatives pour établir une tyrannie de la raison."

Et elle poursuit, plus loin (page 148) : "Nous avons vu que, dans la parabole de la caverne, le philosophe quitte la caverne en quête de la véritable essence de l’Être sans aucune arrière-pensée quant à l'applicabilité de ce qu'il va chercher. Ce n'est que plus tard, quand il se trouve à nouveau prisonnier et se heurte à l'hostilité de ses semblables, qu'il commence à penser à sa "vérité" en termes de normes applicables au comportement d'autres personnes. Cette antinomie entre les idées comme essences vraies devant être contemplées et les idées comme mesures devant être appliquées est manifeste dans les deux idées entièrement différentes qui représentent l'idée la plus haute, l'idée unique à laquelle toutes les autres doivent leur existence (Hannah Arendt nous aide à comprendre pourquoi Platon hésite entre le Beau et le Bien et considère que le Bien est la valeur suprême, mais seulement dans le domaine politique)"

Il est temps à présent d'évoquer l'organisation de la cité idéale selon Platon : "Ainsi, écrit Michel Liégeois, parce qu'existent pour Platon ce monde des Idées et la possibilité pour celui qui veut être l'ami de la sagesse, de redécouvrir la vérité, la cité ne doit pas être laissée ni à l'immoralité et l'intérêt matériel des Sophistes, ni à l'injustice générée par les sociétés déréglées qui produisent des industries de luxe, flattant les désirs les plus bas et suscitant jalousies et séditions.

Avec Platon, la philosophie ne s'arrête pas à une pure contemplation des essences et n'est pas un discours coupé de tout rapport avec la réalité, mais se donne bien comme cette réflexion rationnelle qui a pour fin les préoccupations quotidiennes des hommes en recherchant l'harmonie dans leurs rapports à l'intérieur de la cité.

Platon nous propose en effet un modèle de cité idéale, une République, qui aurait pour fin la justice et qui représente la critique des formes de gouvernement de son époque. Lui-même croyait à ce point à la possibilité de réaliser une telle société qu'il entreprit plusieurs voyages et démarches auprès des tyrans de Syracuse, mais à ses dépens et sans succès.

Au niveau individuel, la justice n'est autre que la répartition mesurée et harmonieuse de ces trois parties qui composent l'âme que sont les appétits (épithumias), la volonté (thumos) et l'esprit (nous). La tempérance représente la justice des appétits, le courage est la justice de la volonté et la sagesse est la justice de l'esprit.

Dès lors, la véritable justice au niveau du politique ne sera rien d'autre que cette tripartition de l'âme de chaque individu à l'échelle de la société. La cité parfaite, nous dit Platon dans La République, sera composée de trois classes, celle des producteurs, celle des gardiens et celle des magistrats, chacune traduisant par analogie une des parties de l'âme : les producteurs ou artisans auxquels correspond la tempérance, les gardiens ou guerriers dont la fonction nécessite le courage et les chefs ou magistrats qui doivent posséder la sagesse pour gouverner.

Cette correspondance entre les fonctions principales de l'âme et les classes de la société propose ainsi une définition non arbitraire de la justice idéale qui se trouve exprimée mathématiquement, chaque individu trouvant sa juste place selon son tempérament et l'éducation qu'il reçoit.

L’État idéal devra donc être dirigé par les philosophes rois ou tout au moins par les aristocrates (aristoï = étymologiquement, les meilleurs) qui, l'esprit tourné vers les Idées du monde intelligible, s'appliqueront à élaborer les meilleurs lois possibles, afin d'établir un ordre à l'intérieur duquel chaque citoyen puisse prétendre à une existence libre et juste."

S. - Mais si l'on n'est pas en état de donner ou de recevoir des arguments, crois-tu qu'on puisse jamais rien savoir de ce que nous affirmons qu'il faut savoir ?

La dernière partie de l'allégorie de la caverne évoque la méthode pour accéder à la vérité : le dialogue philosophique. Dialogue vient de dia-logos (discours à deux). Le dialogue est l'art de procéder par questions et réponses, par paliers successifs vers la connaissance de l'absolu. Rattachée à l'art du dialogue, la dialectique permet de remonter vers des principes absolus et premiers. Dans ce mouvement, l'esprit passe du sensible à l'intelligible, aux Idées pour atteindre enfin l'Idée du Bien :

Les degrés de connaissance (d'après Michel Robert) :

Il est donc possible de connaître la vérité, de contempler l'absolu ; la philosophie en est l'entreprise. Mais quel est son contenu et qu'en sera sa méthode? Encore une fois, Platon en appelle à l'image ; la ligne droite qu'il divise en segment inégaux représente les deux mondes ainsi que les différents degrés de connaissance qui leur sont liés.

Selon l'analogie, nous passons de gauche à droite à ce qui est plus près de la vérité et de la lumière. De plus, la segmentation de la ligne indique que la réalité saisie est vraie et claire, le plus long segment équivalant à la pleine connaissance accompagnée de sa compréhension :

Platon divise une ligne en différents segments, qui représentent un type d’objets et la connaissance qui les livre. A,B = objets visibles (connus par expérience empirique) ; C,D = objets intelligibles (appelés tels parce qu’ils sont connus par l’esprit) :

Premier tableau : niveau ontologique : les divers degrés d’être

A-genre visible (image) B- genre intelligible (modèle)

a

Images :

Ombres,

Reflets naturels, œuvres d’art

b

Modèles de a:

Etres vivants et artificiels (un lit, un animal)

c

Objet mathématique

(réalisme mathématique : les nombres, les figures, etc., existent réellement, indépendamment de notre esprit, et sont même plus réels que les objets b)

d

Idées pures

(Idée de lit, Idée d’animal, Idée de nombre, etc.)

Deuxième tableau : niveau épistémologique, les divers degrés de connaissance :

Illusion des sens (eikasia)

On confond les images avec les choses qu’elles représentent (Platon n’aime pas les images, il aurait beaucoup critiqué la télé, le cinéma)

Croyance (pistis)

On croit que le réel est ce que nous donne notre perception sensible (on confond le sensible avec l'être). Rejoint l'opinion (doxa) qui est un préjugé ("savoir" non fondé)

Raison (dianoia) ou

connaissance mathématique = hypothétique.

Opère par définitions, axiomes, théorèmes, dont elle déduit des propositions

Intelligence (epistèmè) ou connaissance dialectique =anhypothétique ; meilleur mode de connaissance : c’est la vision du réel tel qu’il est en soi. Obtenue en s’affranchissant des sens.

(D'après PHILOCOURS.COM)

Épilogue :

J'étais plongé l'autre jour dans la rédaction de ce commentaire quand un élève de CM1 que j'aide à faire ses devoirs et à apprendre ses leçons, Benjamin (10 ans), est arrivé et m'a demandé ce que je faisais.

Je lui ai expliqué que j'essayais de comprendre un texte très ancien de Platon, un "philosophe" grec : l'allégorie de la caverne.

A mon étonnement, il m'a demandé de quoi il était question et j'ai essayé de lui répondre à l'aide d'un dessin, bien que je ne dessine pas très bien.

Benjamin m'a écouté attentivement (il fronce les sourcils quand il écoute attentivement)... "J'ai tout compris ce que tu m'as expliqué : Le feu, c'est comme un projecteur et les prisonniers, ils regardent un film, c'est des images, mais ils croient que ce sont des objets réels... Celui qui a été libéré, il a passé toute sa vie dans la caverne, sans bouger, dans l'obscurité, alors ça lui fait mal de tourner la tête, de marcher, de monter la pente, de regarder la lumière... Ton histoire, ça parle de l'ignorance... Celui qui a été libéré, il faut qu'il redescende dans la caverne pour libérer ses copains."

J'ai été frappé par la gravité de son regard.

La caverne de Platon
Auteurs : Bruno Jay - Hans Schepers
Bruno Jay
adaptée de l'allégorie de la caverne de Platon, La république, livre VII, 514b-517e
illustrations Hans Schepers
Éditeur : Ed. Cheval Vert, Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire)
Collection : Les mythes philosophiques

Description : 28 pages; (24 x 17 cm)

EAN13 : 9782918583011













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