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Commentaire d'un texte de Rousseau sur la liberté et la loi Empty Commentaire d'un texte de Rousseau sur la liberté et la loi

par Robin Dim 26 Mai 2013 - 21:54
Jean-Jacques Rousseau, né le 28 juin 1712 à Genève et mort le 2 juillet 1778 (à 66 ans) à Ermenonville, est un écrivain, philosophe et musicien genevois francophone.

Rousseau commence par distinguer la liberté véritable de l'indépendance et met en relation la notion de liberté et les notions de volonté, de justice, de loi naturelle, de nature et de société. L'auteur se demande ce qu'est la liberté véritable, puis développe et éclaire un paradoxe : la liberté véritable ne consiste pas à faire ce que l'on veut, à faire sa propre volonté (ou à faire ses quatre volontés !), mais à obéir aux lois.

"On a beau vouloir confondre l'indépendance et la liberté. Ces deux choses sont si différentes que même elles s'excluent mutuellement. Quand chacun fait ce qu'il lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d'autres, et cela ne s'appelle pas un État libre. La liberté consiste moins à faire sa volonté qu'à n'être pas soumis à celle d'autrui, elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d'autrui à la nôtre. Quiconque est maître ne peut être libre, et régner c'est obéir (...) Je ne connais de volonté vraiment libre que celle à laquelle nul n'a droit d'opposer de la résistance ; dans la liberté commune nul n'a droit de faire ce que la liberté d'un autre lui interdit, et la vraie liberté n'est jamais destructive d'elle-même. Ainsi la liberté sans la justice est une véritable contradiction ; car comme qu'on s'y prenne tout gêne dans l'exécution d'une volonté désordonnée.

Il n'y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu'un est au-dessus des lois : dans l'état même de nature l'homme n'est libre qu'à la faveur de la loi naturelle qui commande à tous. Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux lois, mais il n'obéit qu'aux lois et c'est par la force des lois qu'il n'obéit pas aux hommes. Toutes les barrières qu'on donne dans les républiques au pouvoir des magistrats ne sont établies que pour garantir de leurs atteintes l'enceinte sacrée des lois : ils en sont les ministres non les arbitres, ils doivent les garder non les enfreindre. Un peuple est libre, quelque forme qu'ait son gouvernement, quand dans celui qui le gouverne il ne voit point l'homme, mais l'organe de la loi. En un mot, la liberté suit toujours le sort des lois, elle règne ou périt avec elles ; je ne sache rien de plus certain."

(J.J. Rousseau, Lettres écrites de la montagne, Huitième lettre, 1764)


Posez-vous les questions suivantes :

1) Quelle définition Rousseau donne-t-il de "l'indépendance" ?
2) Pourquoi ne faut-il pas confondre l'indépendance avec la liberté ?
3) En quoi consiste, selon Rousseau la liberté véritable ?
4) Expliquer : "Quiconque est maître ne peut être libre"
5) En quoi la fausse liberté est-elle "destructive" (= destructrice) d'elle-même ?
6) Pourquoi la liberté sans la justice est-elle contradictoire ?
7) Expliquer "Il n'y a point de liberté sans lois, ni où quelqu'un est au-dessus des lois" en tenant bien compte des deux parties de la phrase.
8) Expliquer "état de nature", "loi naturelle".
9) "Un peuple obéit, mais il ne sert pas." Pourquoi ?
10) Quel est le rôle des magistrats ? A quoi Rousseau s'oppose-t-il ?
11) En quoi consiste la "séparation des pouvoirs" ? En quoi et pourquoi Rousseau réclame-t-il ici la séparation des pouvoirs ?
12) Expliquer "quelque forme qu'ait son gouvernement"

Rousseau commence par distinguer deux concept : le concept d'indépendance et le concept de liberté. L'indépendance (de in - préfixe privatif - et dependere, dépendre) consiste à ne pas dépendre de quelqu'un. Le mot "indépendance" est alors plus ou moins synonyme du mot liberté (on dit "conquérir son indépendance"). Par exemple, lors de la guerre d'Indépendance contre l'Angleterre, les colonies d'Amérique cherchèrent à se libérer de la tutelle anglaise.

Mais Rousseau ne prend pas le mot indépendance dans ce sens. Être véritablement libre, pour Rousseau, c'est aussi bien ne pas dépendre d'autrui que de ne pas soumettre autrui à notre volonté. "Indépendance" veut donc dire ici le fait d'agir comme si autrui n'était pas, lui aussi, doté d'une volonté libre, ne pas lui accorder les mêmes droit que les nôtres.

Pour Rousseau, la liberté véritable consiste :

a) à ne pas être soumis à la volonté d'autrui
b) à ne pas soumettre la volonté d'autrui à la nôtre

Ce deuxième aspect de la liberté (ne pas soumettre la volonté d'autrui à la nôtre) que résume la phrase suivante : "Quiconque est maître ne peut pas être libre.", découle du paradoxe initial : être libre, ce n'est pas faire ce qui nous plaît. Dans l'Antiquité grecque et romaine, un homme libre est un homme qui ne dépend de personne, mais qui peut posséder des esclaves qui dépendent de lui. Mais Rousseau ne fait pas tant allusion ici à l'esclavage qu'à la tyrannie et au despotisme. Pour Rousseau, le despote, celui qui fait sa volonté sans tenir compte de celle d'autrui, celui qui asservit autrui à sa volonté n'est pas plus libre que ceux sur lesquels il règne.

"Régner c'est obéir", écrit Rousseau : régner, c'est en effet obéir et obéir deux fois : à ses passions ("volonté désordonnée"), mais c'est aussi obéir à la peur car dans une tyrannie, les hommes ont le droit (même s'ils n'en ont pas toujours le pouvoir) de résister au tyran et s'ils en ont le droit, c'est que la volonté du tyran est illégitime.

La liberté véritable, selon Rousseau, ne consiste donc pas à faire ce qui nous plaît, elle ne consiste ni à soumettre la volonté d'un autre à la sienne, ni à soumettre sa volonté à celle d'un autre. Le despote, le tyran ne saurait donc être libre car il est soumis à ses passions et aux limites de la soumission des autres. Ma liberté des uns s'arrête donc, comme le dit l'adage, là où commence celle des autres.

La fin du premier paragraphe introduit le concept de justice : "Ainsi la liberté sans la justice est une véritable contradiction". Rousseau va maintenant expliquer en quoi consiste la justice et où réside la contradiction d'une liberté sans justice. Pour Rousseau, la liberté est inséparable de la justice et la justice s'exprime à travers des lois : "Il n'y a point de liberté sans lois, ni où quelqu'un est au-dessus des lois : dans l'état même de nature, l'homme n'est libre qu'à la faveur de la loi naturelle qui commande à tous."

"Il n'y a pas de liberté sans lois" : pour Rousseau, être libre, ce n'est pas faire ce que l'on veut (n'obéir qu'à soi-même), ni obéir à un autre, mais obéir aux lois.

Rousseau évoque ensuite "l'état de nature", fiction inventée par les penseurs du "contrat social" pour expliquer pourquoi les hommes s'unissent pour former une société. Elle ne correspond évidemment à aucune réalité historique. Les hommes ne sont jamais passés directement d'un prétendu état de nature à l'état de société.

Pour Rousseau, être libre, c'est obéir aux lois. Or dans l'état de nature, il y a des lois naturelles, celles qui gouvernent les animaux et qu'étudient les éthologistes : l'instinct de reproduction, la faim, la soif, la prédation, la chaîne alimentaire, les instincts des différentes espèces animales qui règlent leurs mœurs. Rousseau imagine que si l'homme n'était resté qu'un animal, ce qu'il est aussi, d'une certaine façon, il aurait été soumis, comme les autres animaux à la loi naturelle. Mais l'homme est un animal social (un "zoon politikon"). Il n'obéit plus (seulement) aux lois naturelles, mais aussi aux lois sociales.

En droit, la loi (du latin lex, legis) est une règle juridique suprême, générale et impersonnelle, ou l'ensemble formé de telles règles. Source du droit, la loi est aujourd'hui typiquement prescrite par le parlement, représentant du peuple et donc titulaire du pouvoir législatif, le pouvoir d'édicter les lois. On parle parfois de législation comme synonyme de loi même si la législation englobe également le règlement qui lui aussi fixe des règles générales et impersonnelles, mais dont l'auteur est le pouvoir exécutif.

Celui qui obéit aux lois et seulement aux lois est véritablement libre car il n'obéit pas aux hommes. Mais cette liberté, pour Rousseau n'est possible qu'à l'intérieur d'une communauté humaine, c'est la raison pour laquelle il parle de "peuple" : "Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux lois, mais il n'obéit qu'aux lois et c'est par la force des lois qu'il n'obéit pas aux hommes." : Rousseau décrit dans ce passage ce que nous appellerions aujourd'hui un "État de Droit" qui peut être aussi bien une monarchie qu'une République ("quelque forme qu'ait son gouvernement") - par exemple la République de Genève dont Rousseau était citoyen, État de Droit qui suppose que personne ne soit au-dessus des lois comme dans les régimes dictatoriaux dans lesquels les hommes sont soumis aux caprices d'un seul.

"Les barrières qu'on donne dans les Républiques au pouvoir des magistrats" désignent la séparation des pouvoirs théorisée dans L'esprit des Lois par un autre philosophe du XVIIIème siècle, contemporain de Rousseau, Montesquieu : séparation entre le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.

Note : La séparation des pouvoirs a été, pour l'essentiel, théorisée par Locke et Montesquieu ; on retient en France le plus souvent la classification de Montesquieu définie dans L'Esprit des Lois :
le pouvoir législatif, confié à un Parlement (ou Législateur), à savoir, en France, l'Assemblée Nationale ainsi que le Sénat ;
le pouvoir exécutif, confié à un gouvernement composé d'un Premier ministre et des ministres, à la tête duquel se trouve un chef d'État et/ou de gouvernement ;
le pouvoir judiciaire, confié aux juridictions, même si d'après la constitution on parle non pas de pouvoir mais d'autorité judiciaire. En France, le pouvoir judiciaire se subdivise en deux ordres juridiques distincts : d'une part l'ordre judiciaire, chargé de trancher les litiges entre particuliers, d'autre part l'ordre administratif, compétent pour trancher les litiges opposant l'Administration et les particuliers. Pour éviter la confusion et inclure le juge administratif, l'on parle parfois en France de « pouvoir juridictionnel ».
La nécessité d'une telle séparation inspirera l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 qui affirme (bien que de façon allusive et sans aucune précision) : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. »

Les magistrats sont les gardiens des lois et n'en sont pas les arbitres : ils ont le devoir de faire respecter les lois ; ils peuvent les interpréter, mais non les changer et encore moins les enfreindre. Un magistrat qui enfreindrait les lois dont il est censé être le gardien exercerait alors un pouvoir abusif, illégitime, et se mettrait "hors la loi". Le magistrat est un homme comme les autres, mais en tant que magistrat, il est "l'organe de la loi", il est au service de la loi qu'il représente et il la représente en tant que magistrat, en exerçant une fonction, et non en tant qu'homme.

Cette distinction entre l'homme et la fonction qu'il exerce est la condition de la liberté, la liberté étant elle-même conditionnée par les lois : "Un peuple est libre, quelque forme qu'ait son gouvernement, quand dans celui qui le gouverne il ne voit point l'homme, mais l'organe de la loi."

Rousseau souligne fortement pour finir le lien consubstantiel entre la liberté et la loi : "En un mot, la liberté suit toujours le sort des lois, elle règne ou périt avec elles ; je ne sache rien de plus certain."

Nous sommes en mesure à présent de mieux comprendre les deux principales difficultés de ce texte dont la lecture introduit à celle du Contrat social : la différence établie par Rousseau entre l'indépendance et la liberté véritable et la relation entre les lois et la justice. La liberté véritable n'est pas l'indépendance parce qu'elle consiste à obéir aux lois (expression de la volonté générale), mais seulement dans la mesure où les lois sont justes, autrement dit la légalité doit être fondée sur la justice effective, le droit positif sur le Droit naturel.


Dernière édition par Robin le Jeu 30 Mai 2013 - 3:21, édité 1 fois
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yphrog
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par yphrog Mar 28 Mai 2013 - 21:06
Robin, excuse-moi, je suis à la traîne. Je ne comprends toujours pas la syntaxe de ce ligne:

Rousseau a écrit:Ainsi la liberté sans la justice est une véritable contradiction ; car comme qu'on s'y prenne tout gêne dans l'exécution d'une volonté désordonnée.

je pinaille sur les préfixes:


Dernière édition par xphrog le Mar 28 Mai 2013 - 21:13, édité 1 fois
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par JPhMM Mar 28 Mai 2013 - 21:12
On distingue l'immoralité d'une amoralité, mais certes pas en effet l'injustice d'une ajustice.

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Je crois que je ne crois en rien. Mais j'ai des doutes. — Jacques Goimard
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par InvitéP2 Mer 29 Mai 2013 - 7:17
xphrog a écrit:Robin, excuse-moi, je suis à la traîne. Je ne comprends toujours pas la syntaxe de ce ligne:

Rousseau a écrit:Ainsi la liberté sans la justice est une véritable contradiction ; car comme qu'on s'y prenne tout gêne dans l'exécution d'une volonté désordonnée.
"Comme qu'on s'y prenne ..." = "de quelque manière qu'on s'y prenne ..."
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Commentaire d'un texte de Rousseau sur la liberté et la loi Empty Re: Commentaire d'un texte de Rousseau sur la liberté et la loi

par Robin Jeu 30 Mai 2013 - 3:17
xphrog a écrit:Robin, excuse-moi, je suis à la traîne. Je ne comprends toujours pas la syntaxe de ce ligne:

Rousseau a écrit:Ainsi la liberté sans la justice est une véritable contradiction ; car comme qu'on s'y prenne tout gêne dans l'exécution d'une volonté désordonnée.

je pinaille sur les préfixes:

Ainsi la liberté sans la justice est une véritable contradiction ; car de quelque manière que l'on s'y prenne ou quelle que soit la manière dont on s'y prend, tout gêne dans l'exécution d'une volonté désordonnée." (Rousseau fait allusion au tyran)... D'accord avec Philippe Jovi que je n'avais pas lu avant d'écrire !
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yphrog
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Commentaire d'un texte de Rousseau sur la liberté et la loi Empty Re: Commentaire d'un texte de Rousseau sur la liberté et la loi

par yphrog Jeu 30 Mai 2013 - 4:00
Philippe Jovi a écrit:
xphrog a écrit:Robin, excuse-moi, je suis à la traîne. Je ne comprends toujours pas la syntaxe de ce ligne:

Rousseau a écrit:Ainsi la liberté sans la justice est une véritable contradiction ; car comme qu'on s'y prenne tout gêne dans l'exécution d'une volonté désordonnée.
"Comme qu'on s'y prenne ..." = "de quelque manière qu'on s'y prenne ..."

merci beaucoup Philippe, Robin ; j'avance, je n'avais même pas compris à 100% que "tout" était le sujet Embarassed :

maintenant je vois je crois: how(so)ever, ... (? : because no matter how you look at it, everything is unaccomodating in the execution of a disorderly will.)

grammaire: curieux ce vestige de (ain)si ... cum. <-- accompagnement? et, puis,        s'y vs. si       :shock:

Spoiler:
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