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Jean-François Revel, Pourquoi des philosophes ? (présentation et notes de lecture) Empty Jean-François Revel, Pourquoi des philosophes ? (présentation et notes de lecture)

par Robin Jeu 18 Déc 2014 - 13:05
"Lorsque, en 1957, Jean-François Revel publie Pourquoi des philosophes ?, une controverse, souvent polémique, s'élève autour de ce mince livre. Il connaît le succès non seulement parmi les intellectuels, mais dans le grand public, et se voit décerner le prix Fénéon par un jury comprenant, entre autres, Louis Aragon et Jean Paulhan.

C'est que l'auteur y remet en question les fondements de la philosophie, ne se bornant pas à la philosophie contemporaine, mais remontant aux origines de cette discipline, notamment à son statut depuis la naissance de la science moderne, au XVIIe siècle. Il montre en particulier que Descartes est non pas le premier penseur scientifique moderne, mais le dernier philosophe médiéval (Descartes inutile et incertain, 1976). Les principaux éléments de la discussion autour de Pourquoi des philosophes ? fournissent la matière de La cabale des dévots (1962), où l'auteur répond à ses objecteurs. Ces textes révèlent aux lecteurs un style critique nouveau, que l'on a défini " voir ce que tout le monde a vu, penser ce que personne n'a pensé ". Revel l'applique aussi bien au récit de voyage (Pour l'Italie, 1958) qu'à la critique littéraire (Sur Proust, 1960) et à son activité d'éditorialiste dans la grande presse (Contrecensures, 1966)."

Sommaire de Pourquoi des philosophes ? et de La cabale des dévots (Robert Laffont, 1976) :

Avant-propos de l'édition de 1979

Préface à l'édition de 1971 : la philosophie depuis 1960

Pourquoi des philosophes ?

I. Wizu Dichter ? (Hölderlin)

II. Je tâtonne Descartes (Rousseau)

III. ... Leur philosophie leur était pour ainsi dire étrangère (Rousseau)

IV. Qu'ils regardent un peu cette race moutonnière qu'ils sont eux-mêmes (Nietzsche)

V. Je suis marri de votre érésipèle (Descartes)

VI. Dans un des plus ingénieux chapitres de sa Psychologie, A. Fouillée... (Bergson)

VII. J'ai soigneusement évité de m'approcher de la philosophie proprement dite (Freud)

VIII. Cependant que le R.P. Malebranche s'entretient familièrement avec le Verbe (Voltaire)

IX. C'est le vice presque ordinaire de toutes les connaissances imparfaites... (Descartes)

La cabale des Dévots

Introduction :

de la Dévotion

Première partie

Problèmes théoriques

Chapitre premier : Lettre à un dévot tolérant (Lucien Goldmann)

Chapitre II. D'un nouvel éclectisme

Chapitre III. Sociologie et philosophie

Chapitre IV : La psychanalyse, les philosophes et le public

Chapitre V : De la psychanalyse à la psychologie

Deuxième partie

Problèmes pédagogiques

Chapitre VI. Intercesseurs et médiateurs

Chapitre VII. La philosophie dans l'enseignement du second degré

Conclusion

Du négatisme

Appendices

I. La pensée sauvage

II. Le cru et le cuit

III. Un roi sans couronne : Merleau-Ponty

IV. Le malheur d'être philosophe

V. La fin du baccalauréat

VI. Althusser ou Marx mis à la retraite

Index

Mon avis sur Pourquoi des philosophes ?

Jean-François Revel s'en prend tour à tour à Descartes, à Bergson, à Heidegger, à Teihard de Chardin, à Merleau-Ponty, à Derrida... et à des "mandarins" tombés dans l'oubli, mais jadis influents comme Cousin, Renouvier ou Fouillée.

C'est tantôt caricatural, tantôt pertinent et souvent drôle, un peu à la manière des Précieuses ridicules de Molière.

Mais Pourquoi des philosophes ? ne se réduit pas à un pamphlet amusant. Revel nous livre aussi et surtout une réflexion sérieuse et stimulante sur le statut et la fonction de la philosophie et donc sur son avenir.

Sur la quatrième de couverture de l'édition de Poche (Laffont, 1976), on peut lire ceci : "traîné dans la boue ou porté aux nues, ce livre constituait, au-delà du pamphlet de circonstance, une mise en question de l'essence même de l'activité philosophique."

Une lecture attentive du livre montre qu'il n'en est pas tout à fait ainsi.

Pourquoi des philosophes ?  est une critique des dérives idéologiques de la pensée philosophique, alors qu'une des fonctions principales de la philosophie, la fonction critique, est précisément de déconstruire les idéologies, ce que fait justement Revel, qui loin de rompre avec la philosophie, reste fidèle, à mon avis, à une certaine façon de philosopher : celle de Socrate.

Revel dit du bien de la méthode freudienne (parce qu'elle s’appuie sur une pratique et donc, d'une certaine manière, sur le réel) et ne met pas tous les philosophes dans le même sac (Platon par exemple).

Ce qu'il rejette par dessus tout, ce n'est pas tant la philosophie qu'une certaine manière de philosopher : le philosophe qui se permet de donner des leçons aux chercheurs (ou aux artistes), le philosophe qui bâtit des systèmes dans les nuées, le philosophe qui s'enferme dans un langage uniquement  compréhensible par quelques initiés, tout en affirmant qu'il écrit "pour le prolétariat" - le passage sur Tel Quel et Philippe Sollers est particulièrement réjouissant -, l'idéalisme dogmatique (Hegel, Marx et leurs épigones)...

L'ouvrage est fortement marquée par le contexte de l'époque : l'influence de Jean-Paul Sartre, les philosophes "compagnons de route" du PCF, les "modes" successives : phénoménologie, existentialisme, structuralisme.

Certains textes de La Cabale des dévots (suite de Pourquoi des philosophes ? ) et l'Appendice me semblent d'une actualité brûlante, comme "La philosophie dans l'enseignement du second degré" ou "la fin du baccalauréat".

Loin de "mettre en question l'essence même de l'activité philosophique", l'ouvrage de Revel illustre plutôt le célèbre paradoxe d'Aristote : "S’il ne faut pas philosopher, il faut encore philosopher pour démontrer qu’il ne faut pas philosopher." (Aristote, Protreptique, Frag. 2 Ross)

Notes de lecture

Avant propos à l'édition de 1979 :

Pourquoi des philosophes ?  est un adieu à la philosophie.

La philosophe consiste (en théorie) à chercher le vrai.

Elle devrait donc neutraliser tout ce qui les passions qui faussent la pensée : l'intérêt, l'orgueil, la soif de puissance et de gloire, la répugnance à modifier un jugement ou une théorie...

Revel constate qu'en pratique il en est tout autrement : le philosophe se préoccupe (bien souvent) de savoir non pas ce qui est plus ou moins vrai dans les arguments qu'on lui propose, mais ce qui est plus ou moins conforme à sa propre philosophie.

Les philosophies apparaissent et disparaissent (le vitalisme bergsonien, la phénoménologie, l'existentialisme, le structuralisme) non en fonction de leur vérité ou de leur fausseté, ni parce qu'elles sont prouvées ou réfutées, ni, comme les œuvres d'art parce qu'elles plaisent et cessent de plaire.

Revel montre "qu'une discipline peut être longtemps morte au regard de l'histoire des idées, en ce sens qu'elle ne peut plus rien apporter qui soit destiné à s'inscrire dans le patrimoine définitif de l'humanité, et néanmoins être le théâtre d'une effervescence prodigieuse des esprits."

Pour comprendre ce phénomène qui affecte particulièrement la philosophie, il faut faire la distinction entre :

a) Le mouvement des idées : l'évolution de la connaissance telle qu'elle peut résulter de bilans périodiques. Exemple : l'abandon, au milieu du XXème siècle, de la notion d'âme immortelle et de "facultés de l'âme" comme principe admis d'explication des phénomènes psychologiques.

b) Le mouvement des esprits : il s'agit non plus des idées, mais des croyances, des idéologies. Par exemple le marxisme reprend la notion (métaphysique) de finalité (le sens de l'Histoire) et recourt à une forme d'eschatologie providentielle que la pratique historique a complètement éliminée.

Revel explique qu'un système intellectuel satisfait bien d'autres besoins que celui de connaître, de même qu'une œuvre d'art ne se borne pas à procurer un plaisir esthétique.

L’œuvre d'art, le système intellectuel ont des fonctions sociales et psychologiques : servir à cimenter ou à défaire l'image que les groupes et les individus se font d'eux-mêmes.

"Les hommes passent leur temps à se battre à propos de problèmes théoriques qu'ils ne souhaitent pas résoudre", parce qu'ils ne sont pas intéressés par les problèmes eux-mêmes, mais par leurs retombées extra-théoriques.

Revel donne le cas des sociétés théologiques dans lesquelles "le système intellectuel est étroitement lié à l'harmonie hiérarchisée d'une société tout entière".

L'auteur évoque pour terminer l'enseignement de la philosophie dans les lycées (cf. La Cabale des dévots) qui poursuit, selon lui sa "course à l'abîme" (rappelons que  cet avant-propos est de 1979). La raison essentielle étant que les professeurs de philosophie s'obstinent à défendre leur discipline menacée en s'accrochant au mouvement des esprits et non au mouvement des idées. "La classe française de philosophie ne revivra que le jour où ce sont les véritables idées que les professeurs y enseigneront à nouveau, et non point une idéologie défensive."

Freud et Lacan (préface à l'édition de 1971) :

Revel conteste à Lacan le droit d'utiliser les concepts de la linguistique et de la sémiologie (il insiste sur la nécessité de distinguer des deux disciplines) à la psychanalyse et démontre que le fameux "retour à Freud" de Lacan n'a rien à voir avec la pensée et l'oeuvre de Freud.

"L'objectif de Lacan est de promouvoir un retour à Freud, au vrai Freud. Ce retour s'opère notamment sur la base de trois thèses :

1°) Contrairement à ce que l'on croit, Freud n'a pas fait appel à la notion d'instinct et il n’emploie jamais ce mot.

Jean-François Revel montre, citations à l'appui que cette affirmation est fausse. "Freud emploie constamment le mot instinct (Trieb en allemand) et parfois aussi le mot Instinkt qui est beaucoup moins fort que Trieb.

2°) La lecture de l'inconscient est d'ordre linguistique, Freud est principalement un linguiste et sa compréhension relève de la linguistique structurale.

Revel montre que cette affirmation est également fausse.  : "Qu'est ce qui distingue une représentation consciente d'une représentation inconsciente ? C'est que la représentation consciente consiste en une représentation de chose plus une représentation de mot, alors qu'une représentation inconsciente est une représentation de chose seulement (L'inconscient, 1915).

La pensée de Freud, ajoute Revel, n'a pas varié sur ce point, puisque, peu avant sa mort, dans L'Abrégé de psychanalyse (1939), il écrit :

"Le fait qu'un processus soit conditionné par la parole permet de conclure à coup sûr que ce processus est de nature très inconsciente." et, dans les Nouvelles conférences, III : "Les processus qui se déroulent dans le "ça" n'obéissent pas aux lois logiques de la pensée."

3°) Le psychisme dont parle Freud n'est pas le moi psychologique banal et individuel, c'est le sujet philosophique dont les ancêtres sont le "cogito" cartésien, le "Je" constituant kantien et la Conscience hégélienne.

Lacan traduit la formule de Freud "Wo es war, soll ich werden." : "Là ou c'était, là comme sujet dois-je advenir." "comme sujet" est entièrement ajouté par Lacan et soll n'implique pas l'idée de devoir, mais indique simplement le futur du verbe. La phrase signifie : "Là où c'était, je serai." Il n'est pas question de sujet lacanien.

Conclusion :

   Il se peut que ce soit Lacan qui ait raison contre Freud, mais il paraît difficile qu'ils aient raison en même temps.
   Il se peut que la philosophie de Lacan soit très importante, mais il paraît discutable qu'elle constitue un "retour à Freud" ou un  prolongement de Freud.
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