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Ilse
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par Ilse Mer 05 Fév 2014, 12:10
Je travaille sur la nouvelle réaliste (essentiellement Maupassant), et je voudrais faire rédiger un passage de retour en arrière aux élèves. Cependant je n'arrive pas à trouver un texte qui me convienne. Alors, je me tourne vers vous...
tannat
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rédiger un retour en arrière Empty Re: rédiger un retour en arrière

par tannat Mer 05 Fév 2014, 14:26
Un fils
A René Maizeroy.
Guy de Maupassant, 1882.
Ils se promenaient, les deux vieux amis, dans le jardin tout fleuri où le gai printemps remuait de la vie.
L'un était sénateur, et l'autre de l'Académie française, graves tous deux, pleins de raisonnements très logiques mais solennels, gens de marque et de réputation. Ils parlotèrent d'abord de politique, échangeant des pensées, non pas sur des Idées, mais sur des hommes, les personnalités, en cette matière, primant toujours la Raison. Puis ils soulevèrent quelques souvenirs ; puis ils se turent, continuant à marcher côte à côte, tout amollis par la tiédeur de l'air.
Une grande corbeille de ravenelles exhalait des souffles sucrés et délicats; un tas de fleurs de toute race et de toute nuance jetaient leurs odeurs dans la brise, tandis qu'un faux-ébénier, vêtu de grappes jaunes, éparpillait au vent sa fine poussière, une fumée d'or qui sentait le miel et qui portait, pareille aux poudres caressantes des parfumeurs, sa semence embaumée à travers l'espace.
Le sénateur s'arrêta, huma le nuage fécondant qui flottait, considéra l'arbre amoureux resplendissant comme un soleil et dont les germes s'envolaient. Et il dit : «Quand on songe que ces imperceptibles atomes, qui sentent bon, vont créer des existences à des centaines de lieues d'ici, vont faire tressaillir les fibres et les sèves d'arbres femelles et produire des êtres à racines, naissant d'un germe, comme nous, mortels, comme nous, et qui seront remplacés par d'autres êtres de même essence, comme nous toujours !» Puis, planté devant l'ébénier radieux dont les parfums vivifiants se détachaient à tous les frissons de l'air, M. le sénateur ajouta : «Ah ! mon gaillard, s'il te fallait faire le compte de tes enfants, tu serais bigrement embarrassé. En voilà un qui les exécute facilement et qui les lâche sans remords, et qui ne s'en inquiète guère.» L'académicien ajouta : «Nous en faisons autant; mon ami.» Le sénateur reprit : «Oui, je ne le nie pas, nous les lâchons quelquefois, mais nous le savons au moins, et cela constitue notre supériorité.» Mais l'autre secoua la tête : «Non, ce n'est pas là ce que je veux dire ; voyez-vous, mon cher, il n'est guère d'homme qui ne possède des enfants ignorés, ces enfants dits de père inconnu, qu'il a faits, comme cet arbre reproduit, presque inconsciemment. S'il fallait établir le compte des femmes que nous avons eues, nous serions, n'est-ce pas, aussi embarrassés que cet ébénier que vous interpelliez le serait pour numéroter ses descendants. De dix-huit à quarante ans enfin, en faisant entrer en ligne les rencontres passagères, les contacts d'une heure, on peut bien admettre que nous avons eu des... rapports intimes avec deux ou trois cents femmes.
Eh bien, mon ami, dans ce nombre êtes-vous sûr que vous n'en ayez pas fécondé au moins une, et que nous ne possédiez point sur le pavé, ou au bagne, un chenapan de fils qui vole et assassine les honnêtes gens, c'est-à-dire nous ; ou bien une fille dans quelque mauvais lieu ; ou peut- être, si elle a eu la chance d'être abandonnée par sa mère, cuisinière en quelque famille ?
Songez en outre que presque toutes les femmes que nous appelons publiques possèdent un ou deux enfants dont elles ignorent le père, enfants attrapés dans le hasard de leurs étreintes à dix ou vingt francs dans tout métier on fait la part des profits et pertes.
Ces rejetons-là constituent les « pertes » de leur profession. Quels sont les générateurs ? - Vous, - moi, nous tous, les hommes dits comme il faut ! Ce sont les résultats de nos joyeux dîners d'amis, de nos soirs de gaieté, de ces heures où notre chair contente nous pousse aux accouplements d'aventure.
Les voleurs, les rôdeurs, tous les misérables, enfin, sont nos enfants. Et cela vaut encore mieux pour nous que si nous étions les leurs, car ils reproduisent aussi, ces gredins-là !
Tenez, j'ai, pour ma part, sur la conscience une très vilaine histoire que je veux vous dire. C'est pour moi un remords incessant, plus que cela, c'est un doute continuel, une inapaisable incertitude qui, parfois, me torture horriblement.

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« Nous naissons tous fous. Quelques-uns le demeurent.  » Samuel Beckett
« C'est un malheur que les hommes ne puissent d'ordinaire posséder aucun talent sans avoir quelque envie d'abaisser les autres.» Vauvenargues
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