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Elyas
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Esprit sacré

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par Elyas Mar 18 Fév 2014 - 15:24
Avertissement préliminaire : cette réflexion n'a aucune volonté de prendre de haut qui que ce soit. Elle pourra paraître stupide et sans intérêt à certains, qu'ils n'en prennent pas ombrage. Elle ne se veut surtout pas normative. C'est juste une réflexion amorcée avec Olympias et doctorwho en décembre qui cherche à se nourrir des idées des autres car ce sujet me passionne.

Bonjour à tous,

Le sujet de l'enseignement et de la maîtrise de la chronologie revient fréquemment dans les médias, sur internet, dans les salles de profs et dans les formations.
Il est d'usage de dire que la chronologie n'est plus maîtrisée, que les élèves confondent tout et que l'enseignement de l'histoire se perd.
Ces remarques sont à la fois preuve d'une certaine tendance, à la limite de la perversité, au déclinisme en France mais aussi d'une réalité qui existait sans doute déjà autrefois mais qui devient une préoccupation majeure actuellement dans un pays en crise où la massification de l'enseignement secondaire et supérieur s'est accompagné d'une réduction des moyens (baisse du nombre d'heures de français, ce qui est pour moi l'erreur fondatrice).
Néanmoins, enseigner le temps n'a jamais été formalisé dans l'enseignement de l'histoire-géographie, àma connaissance. Il n'existe quasiment pas d'étude didactique de ce type et les ouvrages théoriques sont avant tout de l'épistémologie (Paul Veyne, par exemple) ou de la philosophie (Paul Ricoeur). Quelques didacticiens, comme Cariou, évoque la question sans jamais entrer dans le détail. Néanmoins, ma connaissance théorique d'une telle bibliographie est menue, je prends toutes les références possibles.
Concrétement, dans les classes, les objets d'étude de la chronologie sont le récit des événements souvent retranscrits dans cet outil purement scolaire qu'est la frise chronologique. Dans l'imaginaire collectif qui permet à des pamphlétaires de crier à la mort de la chronologie, il suffirait de demander aux élèves de l'apprendre et voilà, la chronologie est sauvée. Le professeur raconterait les personnages, les batailles et les anecodtes qui nourriraient cette frise chronologique, et l'enseignement chronologique serait salvateur.

Le fait est que si ça marchait aussi simplement, tout le monde ferait ainsi. Sauf que c'est bien plus compliqué.

Il y a plusieurs facteurs à soulever pour imaginer un enseignement du temps en histoire :
- tout d'abord, le problème de maîtrise du flux du temps par les élèves (un écolier de 7 ans n'a pas la même perception du temps qu'un collégien de 13 ans ou qu'un lycéen de 17 ans).
- Le fait que la chronologie seule est insuffisante, il faut aussi un peu de chronographie et de chronosophie.
- Les temps en histoire sont multiples, connectés et interdépendants tout en étant uniques.
- La place de l'événement, à la fois élément diachronique et synchronique d'un temps.
- la question que l'histoire n'est au fond que le rassemblement de traces avec de grands vides qu'on essaie de constituer dans une sorte de récit.
- le problème tout simple des années avant JC. Les élèves n'ayant pas étudiés la logique des nombres négatifs quand l'enseignant aborde la chronologie "avant Jésus Christ", une certaine logique mathématiue manque pour saisir cette chronologie (et en corrollaire, la question de l'année 0 qui n'existe pas ou la datation en siècle et millénaire, 1938 = 20e siècle, ce n'est pas si simple pour un élève qui n'a pas une logique mathématique solidement implantée dans son esprit).

Enseigner l'histoire est compliqué, alors rajouter tous ces éléments pour créer chez les élèves une conscience du temps et de ses multiples formes et aspects est encore plus compliqué.

Alors, comment faire ? Surtout que cet enseignement différera entre l'école, le collège et le lycée.

Ensuite, l'enseignant devra jouer avec plusieurs groupes d'outils scientifiques issus du savoir et de la méthode historiques :
- les approches chronologiques (situer dans le temps), chronographiques (situer dans le temps en développant un peu) et chronosophiques (comprendre la place de l'objet étudié dans le temps) [pardonnez la caricature des définitions de ces trois approches].
- l'aspect diachronique (rupture) et l'aspect synchronique (permanence).
- les événements et les personnages, éléments moteurs de connaissances d'un enseignement chronologique car tout événement s'inscrit dans plusieurs temporalités tout en étant à la fois un élément de rupture et de permanence dans ces temporalités. Salamine, l'épopée d'Alexandre le Grand, la carrière de Jules César, la vie de Jésus, l'opposition entre Augustin d'Hippone et Pélage, la vie d'Isidore de Séville, le sacre de Charlemagne, l'assassinat des Ummayyades en 750 à Damas, la bataille de Bouvines en 1214, la construction de Notre-Dame-de-Paris, la chevauchée de Jeanne d'Arc... sont de bons exemples mais il y en a une multitude.

Là, une première remarque pourra m'être faite : "Mais c'est trop compliqué ! Vous voulez former des mini-historiens ! On demande juste qu'ils sachent que 1515 c'est avant l'Âge industriel du XIXe siècle et après les Romains !"
Dire ça, c'est bien mais la réalité, c'est que c'est comme dire qu'une orange n'a rien à avoir avec un citron bien qu'ils soient tous des agrumes.
Prenons un exemple digne des images d'Epinal: 1515, Marignan ! Les élèves se devraient de connaître cette date que quasiment tous les adultes connaissent. Là, le coquin de professeur d'histoire que je suis, regarde les gens qui connaissent cette date et leur pose ces questions : "Ok, 1515, Marignan. Mais qui se battait contre qui ? Et pourquoi ?" Soudain, le nombre de gens capables de répondre à cette question s'effondre. François 1er, les Vénitiens, le Milanais et les Suisses en prennent pour leur grade.


Comment faire ?

Je ne peux répondre que pour le collège où j'enseigne (mais je suis sûr que d'autres répondront comme Olympias avec qui on a déjà débattu une fois de ce sujet en se promettant d'ouvrir un sujet Wink j'espère qu'il te contentera, collègue Wink).

Nos programmes nous demandent d'avoir une démarche inductive avec mise en perspective. Souvent, nous prenons un exemple de personnage ou d'événements pour la démarche inductive, puis projetons cet objet d'histoire dans une contextualisation plus vaste pour la mise en perspective.
Nos programmes nous demandent de développer chez nos élèves des pratiques langagières diversifiées mais bien maîtrisée et surtout très disciplinaires. Le récit, le développement construit, la carte mentale ET la frise chronologique y sont parfaitement adaptées.

Comment faire ?

La base, c'est le choix du sujet de la démarche inductive, le choix des documents, le choix des questions pour aller dans une compréhension de l'événement dans le(s) temps de l'Histoire, le choix de la forme de la synthèse du travail inductif et de construire la question (problématique) de sa mise en perspective dans une construction chronologique/chronographique/chronosophique de l'objet de la démarche inductive par rapport au temps dans lequel cet objet s'inscrit tant de façon diachronique que synchronique. Evidemment, il faudra habituer les élèves à s'interroger sur la place dans le temps de façon explicite à toutes les étapes du chapitre.

De plus, la triple approche sur le temps est intéressante et peut construire à la fois une progression dans l'année mais aussi des éléments de différenciations.

La visée purement chronologique me paraît trop faible pour le collège, surtout avec la question des repères. Le fait qu'un élève sache que l'Hégire a eu lieu en 622, soit au VIIe siècle, est le minimum. Une volonté chronographique est ce qui est réellement attendue avec la question des repères. Ainsi, l'Hégire deviendra l'événement qui a eu lieu en 622 (VIIe siècle) dans le Hedjaz quand Mahomet a fui la Mecque où il était en danger pour se réfugier à Yahtrib. L'élève ne fait pas que localiser la date (622, 7e siècle), il l'explique. Mais, on peut aller plus loin avec une approche chronosophique : L'Hégire se produit en 622 (7e siècle) quand Mahomet fuit la Mecque où il est en danger pour gagner Yahtrib. Cet événement est fondateur car il marque le début du calendrier musulman et le début d'une guerre que Mahomet va mener contre les élites polythéistes de la Mecque. C'est aussi à Médine, lieu de rencontre entre différentes tribus arabes (polythéistes et juives) que l'islam va se formaliser et devenir conquérant dans un Moyen-Orient où les tribus arabes sont divisées alors qu'au nord les riches empires perse et byzantin s'épuisent en s'affrontant. C'est caricatural, soit, mais si un élève parvient à faire cela, c'est déjà pas mal Wink

En ce sens, le travail de G. Duby sur Bouvines est un exemple fort pour nous, par exemple.

Prenons, la bataille de Salamine en -480.

On peut orienter son étude dans une démarche à la fois historique qui fera le lien avec Alexandre le Grand (temporalité longue de l'attirance-répulsion entre le monde grec et le monde perse) et moyenne (la lutte pour la participation du plus grand nombre de citoyens à l'Ecclesia) et courte (la survie d'Athènes) tout en jouant avec la temporalité militaire (la stratégie), religieuse (tout le foin que Thémistocle a fait pour convainre les Athéniens de prendre les navires) et politique (la question de la démocratie athénienne).

Par un questionnement minutieusement construit (par écrit ou dialogué) et adapté ou un cours magistral, explicitant clairement la question de l'inscription dans le temps et montrant les rutpures et permanences, avec une formalisation en autonomie faite en solo, en binôme, en groupe ou avec le professeur soit sous la forme d'un récit, d'une carte mentale ou d'une/de frise(s) chronologique(s), on peut faire émerger une conscience de ce concept difficile qu'est le temps.

Après, quand on fera Alexandre le Grand, une question pour rappeler Salamine et montrer la permanence des affrontements entre Grecs et Perses est aisée. De même, une question pour montrer en quoi Alexandre est une rupture dans cette temporalité d'affrontements entre Grecs et Perses est assez facile.

Prenons le christianisme : dans les chapitres sur la Grèce, on aura pu parler des banquets suivis de sacrifices (avec le chapitre sur la Grèce antique ou celui sur Athènes voire sur Alexandre le Grand) et poser la question de l'inscription de la messe à la fois comme élément de rupture et de permanence des pratiques religieuses antiques.

Après, on peut avoir sur ses murs une immense frise chronologique où les élèves remplissent au fur et à mesure les événements étudiés pour se construire de visu une mémoire de tous ces aspects que le mot "chronologie" induit.

Voilà, je ne suis pas certain d'être pertinent, d'être clair ou intéressant. Je vous adresse mes excuses d'avance si cela peut paraître arrogant, avoir réinventé l'eau chaude ou d'être idiot. Je suis curieux de connaître d'aures avis, d'autres réflexions sur le sujet car j'envisage sérieusement de travailler ainsi de façon beaucoup plus explicite qu'autrefois (ils vont souffrir mes 6e et mes 5e  Twisted Evil ).
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par doctor who Mar 18 Fév 2014 - 15:59
Merci Elyas!!! (J'adore la réflexion didactique...)

Deux remarques rapides :
- je trouve que le temps envisagé au pluriel est une métaphore a forte productivité heuristique, mais je ne l'emploierai pas avant l'université.
- rapidement : le déficit de conscience "chronographique" me semble être la conséquence d'un déficit d'imaginaire historique (et donc d'un manque de richesse et de variété des connaissances historiques en primaire).

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par Elyas Mar 18 Fév 2014 - 16:43
doctor who a écrit:Merci Elyas!!! (J'adore la réflexion didactique...)

Deux remarques rapides :
- je trouve que le temps envisagé au pluriel est une métaphore a forte productivité heuristique, mais je ne l'emploierai pas avant l'université.
- rapidement : le déficit de conscience "chronographique" me semble être la conséquence d'un déficit d'imaginaire historique (et donc d'un manque de richesse et de variété des connaissances historiques en primaire).

Nous sommes deux à aimer ce type de réflexion Wink

Pour les temps, je ne sais pas. Parfois, des concepts difficiles passent très bien dès qu'ils sont assimilés très jeunes. Mais comme il y a peu de recherches sur ce point à ma connaissance, c'est assez difficile de savoir si tu as raison ou pas.

Pour le déficit "chronographique", je ne connais pas assez le primaire, n'étant qu'un spécialiste du secondaire (mais certains séminaires école-collège et ma première réunion du conseil école-collège m'ont fait comprendre certaines choses).

J'ai hésité à rajouter dans ces éléments de réflexions des pistes taxonomiques basées sur l'échelle de Bloom avec ses histoires de mémorisation/application automatisée/analyse-synthèse/évaluation. Mais, j'ai préféré ne pas tout mélanger.
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