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Alain Boissinot : Quels scénarios pour décentraliser l'éducation ? Empty Alain Boissinot : Quels scénarios pour décentraliser l'éducation ?

par coindeparadis Lun 8 Déc 2014 - 11:06
A ceux qui me soutenaient que le nouveau découpage régional n'aurait pas d'incidence sur les académies ...
l'Expresso - 08/12/2014 a écrit:L’évolution propre de l’Education nationale, ces dernières années, présente quelques lignes de force
Une nouvelle architecture se dessine : elle remplace la tripartition traditionnelle (primaire/secondaire/supérieur) par de nouveaux continuums (scolarité obligatoire autour du socle commun/lycée-licence/master-doctorat). Même s’il s’agit pour le moment d’une logique pédagogique plus qu’institutionnelle, il serait fâcheux que les deux approches divergent. D’ores et déjà, les partages instaurés par la décentralisation des années 80 rencontrent de ce point de vue leurs limites, on le voit par exemple à travers les nombreux débats sur le statut des écoles.
Le niveau académique prend de plus en plus d’importance. L’évolution récente l’a fortement conforté, sous l’effet de différents facteurs (massification du secondaire puis du supérieur, LOLF, montée en puissance des régions et des préfets de région…). La responsabilité des recteurs s’est affirmée, à la fois par déconcentration à partir du ministère et par reconcentration à partir du département en ce qui concerne le premier degré.
La problématique de l’autonomie des établissements s’affirme simultanément, même si ce n’est pas sans ambiguïtés. La loi LRU, pour le supérieur, marque une étape importante. Les EPLE doivent suivre le mouvement, à leur manière. La position des académies commence à évoluer : elles ne sont pas, disait très bien Luc Châtel, seulement un lieu d’application d’une politique éducative, mais un lieu de « coproduction » de cette politique. A partir de là se cherchent des logiques de contractualisation - entre académies et administration centrale, entre académies, EPLE et collectivités - et s’opposent des conceptions ascendantes ou descendantes du pilotage.
Le décret du 5 janvier 2012 « relatif à l’organisation académique » tire des conséquences très importantes de ces évolutions :

- il conforte et clarifie l’organisation académique. Celle-ci ne résulte plus d’une hybridation des logiques historiques du premier et du second degré, mais unifie l’ensemble sous la responsabilité du recteur, tout en reconnaissant le rôle essentiel du secrétaire général et des DASEN, représentants du recteur au niveau du département pour l’ensemble de l’enseignement scolaire ;
- il reconnaît la diversité des situations académiques, qui appelle et autorise des organisations différentes sous la responsabilité du recteur.

Ce décret, sous réserve d’ajustements de détail, constitue un cadre qui permet à l’Education nationale de s’adapter aux évolutions à venir de la décentralisation.
Les conséquences du nouveau découpage territorial

Au moment où s’affirme le caractère stratégique du niveau académique, il serait absurde que l’Education nationale décroche de la nouvelle organisation de la métropole en grandes régions. La carte des académies doit donc être alignée sur celle des nouvelles régions, quitte à prévoir provisoirement un traitement spécifique de l’Ile-de-France : historiquement cela a toujours été le cas, et l’on manque de visibilité sur l’organisation de la Région et du Grand Paris.

Au demeurant, les ensembles ainsi obtenus, en nombre d’élèves et d’étudiants, restent dans des ordres de grandeur non exorbitants par rapport aux plus grosses académies actuelles (celles de Versailles ou de Lille), et sont même en dessous pour la plupart. Le problème sera donc moins celui de la masse démographique que celui de l’étendue des territoires. Cela souligne la nécessité d’une réflexion sur les échelons de proximité.

Il faudra donc passer à 13 recteurs-chanceliers pour la métropole (ou 15 si l’on garde pendant un temps le statu quo en Ile-de-France). Ce sera un avantage du point de vue du supérieur (cf. ci-dessus). Bien sûr, selon la taille des nouvelles académies, ces recteurs pourront être assistés par un ou plusieurs vice-recteurs, ce qui aurait aussi l’avantage, du point de vue de la gestion des personnes, de pouvoir préparer de futurs recteurs en les plaçant d’abord auprès d’un recteur expérimenté. Le rôle des DASEN devra aussi être conforté, dans l’esprit du décret de 2012. En revanche le maintien durable du dispositif existant, même avec des coordinations renforcées et la désignation d’un recteur « chef de file » au niveau de la grande région, ne donnerait pas à l’Education nationale la visibilité et le poids nécessaires dans la nouvelle organisation.Complémentairement, la question des échelons territoriaux infra-académiques sera essentielle. Selon les évolutions de la décentralisation et selon les territoires concernés, chaque grande académie devra trouver une organisation adaptée, en référence aux départements (éventuellement maintenus ?), aux métropoles ou communautés de communes, aux bassins, etc. Si le principe doit être commun à toutes les académies, les modalités retenues doivent pouvoir varier selon les contextes.

La question des compétences est aussi importante que celle du découpage. Deux sujets sont particulièrement sensibles :

Le premier est celui de la carte des formations. On voit logiquement se dessiner un bloc de compétences régional autour de la définition de l’offre de formation et de l’orientation ; cette responsabilité régionale s’affirme au fil des lois successives de décentralisation.
Certains distinguent entre la formation professionnelle stricto sensu (compétence régionale) et la formation générale qui resterait prérogative d’Etat. Mais cette distinction est difficile à tenir : quid du technologique ? Des BTS ? Tout fait système et vases communiquants en matière de définition de l’offre de formation, et il serait dangereux d’isoler le professionnel alors qu’il faut au contraire développer la fluidité des parcours et les passerelles. La césure est même impossible dans des régions comme l’Ile-de-France où la majorité des lycées sont intégralement polyvalents, et même, dans l’académie de Versailles, reçoivent des dotations horaires uniques.
C’est donc sans doute l’ensemble de l’offre de formation des lycées qui doit devenir compétence régionale, en coresponsabilité avec le recteur.
Le deuxième sujet délicat est celui des collèges. Il est question de les confier aux régions (qui sont au mieux consentantes). Mais il faut prendre garde à ce que cela ne soit pas perçu comme la (re)constitution d’un bloc secondaire, fortement distinct du primaire, qui serait aux antipodes des logiques qui se dessinent autour du socle commun et des réseaux écoles-collèges. La meilleure manière d’éviter ce risque est que les régions aient une compétence stratégique sur l’ensemble du scolaire, mais avec des logiques de subdélégation vers les échelons territoriaux plus fins, de façon à préserver des cohérences et des proximités au demeurant indispensables.

Scénarios pour l’avenir

Le processus qui s’engage est évolutif et incite à réfléchir à des scénarios possibles. Il ne s’agit pas seulement en effet de réorganisations techniques et quantitatives : à partir d’un certain seuil de modifications les systèmes changent de nature.
L’affirmation de grandes académies, en partenariat quotidien avec des préfets de région puissants et des présidents de région dont le poids politique sera très fort, va modifier la relation entre les académies et l’administration centrale. Il faudra aller jusqu’au bout des évolutions rappelées ci-dessus et clairement positionner le ministre et la centrale comme régulateurs, et non prescripteurs, d’une politique éducative co-produite par les académies. Il faudra envisager aussi de nouvelles déconcentrations, notamment en matière de recrutement et de gestion des personnels. Le plan pour la Seine-Saint-Denis présenté par la ministre le 19 novembre dernier reconnaît d’une certaine façon cette nécessité…
Dans cette logique, certains ne manqueront pas de relancer l’idée d’une transformation des académies en établissements publics régionaux (idée émise mais écartée en 2003). A défaut, il faudra repenser les instances actuelles, imaginer, par exemple, des « conférences territoriales » associant autorités académiques, préfet de région, collectivités, etc., et de toute façon remplacer le système obsolète des CAEN.
On voit que par une évolution inverse à celle que connaît actuellement l’Allemagne - mais à partir de logiques initiales diamétralement opposées - on pourrait aller vers une nouvelle répartition des rôles entre Etat et Régions : il y aura des compromis à repenser entre logiques jacobines et girondines, sans préjuger des débats, qui appelleront des choix politiques, entre déconcentration, décentralisation et éléments de régionalisation. Gageons en tout cas que le point d’équilibre du système se déplacera vers les académies. Evolution majeure, qui donnerait leurs chances aux réformes nécessaires : alors que l’échelon central cumule tous les facteurs de blocage et de dramatisation des enjeux, académies et établissements offrent des possibilités de renouvellement souple et progressif.
Alain Boissinot

Ancien recteur des académies de Bordeaux et Versailles, ancien directeur de l’enseignement scolaire



Voilà qui va rendre les mutations encore plus difficiles ( pour les académies de 10, 15 départements !!!).

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par Presse-purée Lun 8 Déc 2014 - 11:20
Ouais, moi je vois surtout poindre le recrutement local pour tous et à terme la fin du statut de fonctionnaire d'état. Après, on a beau mettre sur son site internet, comme le font certains syndicats, qu'on est "attaché au déroulement de carrière et à l'appartenance à ma FPE" (je cite de tête), les indices convergent.

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par coindeparadis Lun 8 Déc 2014 - 11:24
Tout à fait. Boissinot dit clairement qu'il souhaite que chaque académie gère son personnel (ce qui est déjà un peu le cas...). De là à ce que les concours deviennent académiques avec un gros volet de contractuels, puis de moins en moins de fonctionnaires, au nom de la flexibilité face à la mobilité de l'offre de formation...

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par Olympias Lun 8 Déc 2014 - 19:27
Inquiétant. Très.
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par e-Wanderer Lun 8 Déc 2014 - 19:31
C'était bien le but de la réforme de la mastérisation des concours : sous prétexte d'harmonisation européenne et d'élévation du niveau, on cherchait à créer un doublon entre les concours et les diplômes, pour à terme faire disparaître les premiers. La suppression du CAPES a déjà été proposée en commission à l'Assemblée en 2011, et temporairement rejetée : http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2011/07/06/97001-20110706FILWWW00402-la-fin-du-capes-rejetee-a-l-assemblee.php?pagination=2
C'était sans doute trop tôt, mais il ne faut pas se faire d'illusions : cette mesure reviendra forcément – d'autant que ça permettra de recruter n'importe qui en toute discrétion, et de mettre un terme à la crise des vocations (en tirant le recrutement vers le bas, naturellement).

Je n'ai jamais bien compris que les syndicats du secondaire n'aient pas réagi, car la mastérisation était clairement le point de départ de la remise en cause globale du statut de fonctionnaire d'État, de la garantie de l'emploi à vie et du maintien d'un système de recrutement national.
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par coindeparadis Lun 8 Déc 2014 - 19:35
e-Wanderer a écrit:C'était bien le but de la réforme de la mastérisation des concours : sous prétexte d'harmonisation européenne et d'élévation du niveau, on cherchait à créer un doublon entre les concours et les diplômes, pour à terme faire disparaître les premiers. La suppression du CAPES a déjà été proposée en commission à l'Assemblée en 2011, et temporairement rejetée : http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2011/07/06/97001-20110706FILWWW00402-la-fin-du-capes-rejetee-a-l-assemblee.php?pagination=2
C'était sans doute trop tôt, mais il ne faut pas se faire d'illusions : cette mesure reviendra forcément – d'autant que ça permettra de recruter n'importe qui en toute discrétion, et de mettre un terme à la crise des vocations (en tirant le recrutement vers le bas, naturellement).

Je n'ai jamais bien compris que les syndicats du secondaire n'aient pas réagi, car la mastérisation était clairement le point de départ de la remise en cause globale du statut de fonctionnaire d'État, de la garantie de l'emploi à vie et du maintien d'un système de recrutement national.
affraid merci de l'information, que je découvre avec 3 ans de retard Embarassed

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par e-Wanderer Lun 8 Déc 2014 - 19:45
Une partie des députés UMP avait eu des scrupules à l'époque, mais j'ai bien peur qu'il y ait moins de complexes la prochaine fois, surtout si c'est le nabopuliste qui repasse en 2017 (ce qui voudrait dire que la droite vaguement gaulliste qu'incarnent Juppé ou Fillon aurait perdu la partie). Le premier train de mesures risque d'être assez brutal pour les fonctionnaires, et pour l'EN en particulier…
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par Presse-purée Lun 8 Déc 2014 - 19:45
@ e-wanderer:

Certains syndicats ont réagi; d'autres souhaitent la disparition des concours parce que trop cacadémiques, parce que le savoir fait du mal à l'enfant. L'important, c'est le zoli livret de compétences pour que le zentil patron y soye enfin neureux parce qu'il ne l'est pas à cause de ces vilains professeurs qui font qu'apprendre des trucs inutiles aux zenfants. Pendant ce temps, lui, il mettra ses gosses dans le privé, voire lui paiera un répétiteur (j'ai un copain qui fait ça, et pas pour un ultra-riche), là où le contenu culturel, qui est déterminant pour le développement futur des compétences (justement), reste le CENTRE de l'enseignement. Et après on se demandera d'où viennent les inégalités.

De même, ces syndicats sont pour le recrutement local et la notation (et avancement) sur décision du chef d'établissement, qui s'appuiera sur les "compétences professionnelles" du subalterne.

La notion de compétence, c'est donc cela: détruire la notion de qualification via diplôme, détruire l'idée de corps de métier solidaire (on avance peu, mais on avance ensemble, et je ne dois pas mon avancement au fait que l'un de mes collègues n'en a pas), et organiser la concurrence entre salariés. Mais sinon, tout va bien.

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