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Robin
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Leibniz, Lettre à Hermann Conring  Empty Leibniz, Lettre à Hermann Conring

par Robin Jeu 13 Fév 2014 - 9:57
Gottfried Wilhelm Leibniz (Leipzig, 1er juillet 1646 - Hanovre, 14 novembre 1716)  est un philosophe, scientifique, mathématicien, logicien, diplomate, juriste, bibliothécaire et philologue allemand qui a écrit en latin, en allemand et en français.

 
"[...] La démonstration est un raisonnement par lequel une proposition devient certaine. Ce qui arrive chaque fois qu'on montre à partir de quelques suppositions (qui sont posées comme assurées) que celle-là s'ensuit nécessairement. Nécessairement, dis-je, c'est-à-dire de manière que le contraire implique contradiction, ce qui est le véritable et unique signe de l'impossibilité. En outre, de même que le nécessaire répond à l'impossible, de même la proposition identique répond à la proposition impliquant contradiction : car, de même que le premier impossible dans les propositions est « A n'est pas A » , le premier nécessaire dans les propositions est « A est A » .

Par suite seules les propositions identiques sont indémontrables. Or, tous les axiomes - bien que le plus souvent ils soient si clairs et si faciles qu'ils n'aient pas besoin de démonstration - sont cependant démontrables, ce qui signifie que, par la compréhension achevée des termes (la compréhension revient à la substitution de la définition au défini), on rend évidente la nécessité des axiomes, c'est-à-dire la contradiction dans les termes impliquée par leur contraire.

Et cela est aussi dans l'esprit de l'Ecole. Or il est évident, sans la pleine compréhension des termes, c'est-à-dire sans leur résolution, que les propositions identiques sont nécessaires, car je sais que tout ce qui finalement est compris par A se réduit à « A est A ». Or toutes les propositions dont la vérité montre sa nécessité seulement par résolution et compréhension des termes sont démontrables par leur résolution, c'est-à-dire par définition. Par quoi il est évident qu'une démonstration est une chaîne de définitions. Car dans la démonstration de quelque proposition, il ne faut rien de plus que des définitions, des axiomes (auxquels je réduis ici les postulats), des théorèmes déjà démontrés et des expériences. Et comme à leur tour les théorèmes doivent être démontrés et que tous les axiomes, excepté les identiques, peuvent même l'être, il est enfin évident que toutes les vérités se résolvent en définitions, propositions identiques et expériences (bien que les vérités purement intelligibles n'aient pas besoin d'expérience) ; et la résolution parfaite étant achevée, il apparaît qu'une chaîne de démonstration commence par des propositions identiques ou des expériences; elle s'arrête à la conclusion.

Or, par l'intervention des définitions les principes sont rattachés à la conclusion et c'est en ce sens que j'ai dit que la démonstration est une chaîne de définitions. La définition de quelque idée composée est la résolution en ses parties. De cette façon, une démonstration n'est pas autre chose que la résolution d'une vérité en d'autres vérités déjà connues. Et la résolution d'un problème qui est à effectuer est la résolution de ce problème en d'autres problèmes plus faciles, à savoir ceux que déjà il renferme manifestement en lui.

Telle est mon analyse qui a fait ses preuves et devra réussir en mathématiques et aussi bien dans les autres sciences. Si quelqu'un en a une autre, je m'étonnerai que finalement elle ne se ramène pas à la mienne ou n'en soit pas une partie ou un corollaire."

Leibniz, Lettre à Hermann Conring, 19-29 mars 1678.


 
Hermann Conring (9 Novembre 1606 - 12 décembre 1681) était un professeur et un savant allemand versé dans  l'étude de la médecine (il s'intéressa en particulier à la circulation du sang), de la philosophie (on le range parmi les néoscolastiques) de la politique et du Droit.

Dans la lettre à  Conring, datée de 1678, Leibniz, philosophe allemand  de la fin du  XVIIème siècle, contemporain de Descartes et de Spinoza, explique en quoi consiste la certitude d’une proposition.

Une proposition est une construction syntaxique pour laquelle il est sensé de parler de vérité. Une proposition donne une information sur un état de chose. Ainsi "2 + 2 = 4"  ou "Socrate est mortel" sont deux propositions. En logique classique (celle à laquelle se réfère Leibniz quand il parle de "l’Ecole"), une proposition peut prendre uniquement les valeurs vrai ou faux.

Leibniz explique ce qu’est une "démonstration" : "une démonstration est un raisonnement par lequel une proposition devient certaine." Soit la proposition : "Socrate est mortel." Cette proposition intuitivement vraie ne peut être considérée comme certaine tant qu’elle n’a pas été démontrée.  Pour qu’elle devienne certaine, elle doit être déduite "à partir de quelques suppositions qui sont posées comme assurées" et dont elle "s’ensuit nécessairement."

Leibniz se réfère à une forme de raisonnement que l’on appelle un "syllogisme". Le syllogisme est un raisonnement logique à deux propositions (également appelées prémisses) conduisant à une conclusion qu'Aristote a été le premier à formaliser. Par exemple, Tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme donc Socrate est mortel est un syllogisme ; les deux prémisses (dites "majeure" et "mineure") sont des propositions données et supposées vraies, le syllogisme permettant de valider la véracité formelle de la conclusion.

Le contraire de la proposition "Socrate est mortel" : "Socrate n’est pas mortel." implique contradiction. Elle contredit en effet la majeure ("Tous les hommes sont mortels."). La contradiction, pour Leibniz, est "le véritable et unique signe de l’impossibilité".

Si une proposition qui contredit une proposition assurée est impossible, sachant que tous les hommes sont mortels et que Socrate est un homme, il est impossible que Socrate ne soit pas mortel.

Leibniz se réfère par ailleurs aux trois principes fondamentaux de la scolastique médiévale ("l’Ecole"), issue de la Logique d’Aristote : le principe d’identité (A est A), le principe de non-contradiction (A n’est pas B) et le principe de tiers exclu (soit A, soit B).

Le principe d’identité énonce que ce qui est… est et donc qu’une chose est ce qu’elle est. Selon Aristote (Métaphysique, Livre Gamma), le principe d’identité est l’exigence fondamentale du discours rationnel. Si on ne l’admet pas, le sens des concepts peut changer à tout instant, ce qui revient à dire qu’on ne peut rien dire sur quoi que ce soit.

Le principe de non contradiction (A n’est pas B) est formulé de la façon suivante : une même chose ne peut pas, en même temps et sous le même rapport, être et ne pas être dans le même sujet. Par exemple, je ne peux pas dire que Socrate est mortel et qu’il n’est pas mortel.

Le principe de tiers exclu (soit A, soit B) est formulé de la façon suivante : on ne peut attribuer que deux états à une chose, à savoir un état et son contraire. Il n’existe pas de troisième état "intermédiaire". Par exemple, soit Socrate est mort, soit Socrate est vivant. Socrate ne peut pas être à la fois mort et vivant ou bien n’être ni mort, ni vivant.

"Socrate n’est pas Socrate", "Socrate est Platon" sont des propositions impossibles. "Socrate est Socrate", "Socrate n’est pas Platon" sont des propositions nécessaires (nécessairement vraies).

"Seules les propositions identiques sont indémontrables", autrement dit, les propositions fondées sur le principe d’identité ("Socrate est Socrate"), bien qu’elles soient évidentes et certaines, ne sont pas démontrables. On peut seulement montrer que la proposition contraire : "Socrate n’est pas Socrate." implique une contradiction dans les termes.  

Un axiome (du grec ancien αξιωμα/axioma, « considéré comme digne, convenable, évident en soi » – lui-même dérivé de αξιος (axios), signifiant « digne ») désigne une vérité indémontrable qui doit être admise. Pour certains philosophes grecs de l'Antiquité, un axiome était une affirmation qu'ils considéraient comme évidente et qui n'avait nul besoin de preuve.

En épistémologie, un axiome est une vérité évidente en soi sur laquelle une autre connaissance peut se reposer, autrement dit peut être construite.

Selon Leibniz, une démonstration est une chaîne de définitions et repose sur des définitions, des axiomes (des postulats), des théorèmes déjà démontrés et des expériences.

Une définition est la détermination des limites de l'extension d'un concept (Dictionnaire technique et critique de la Philosophie Lalande). Plus profondément, la définition expose en un discours articulé (composé minimalement de deux mots) la compréhension d'un concept. Dire qu'un animal est un vivant doué de connaissance sensible, par exemple, c'est articuler entre elles deux notions (vivant et doué de connaissance sensible) qui entrent dans la constitution et qui permettent de saisir la nature d'une troisième (animal).

Un théorème est une proposition qui peut être mathématiquement démontrée, c'est-à-dire une assertion qui peut être établie comme vraie au travers d'un raisonnement logique construit à partir d'axiomes. Un théorème est à distinguer d'une théorie.

Une fois le théorème démontré, il est considéré comme vrai quelle que soit la valeur de vérité de sa prémisse (hypothèse de base) car il se présente sous la forme d'une implication : si A est vraie alors B est nécessairement vraie. Il peut alors être utilisé pour démontrer d'autres propositions. Démontrer le théorème consiste à démontrer l'impossibilité d'avoir à la fois A vrai et B faux.

Un théorème a généralement  des hypothèses de base, c’est-à-dire des conditions qui peuvent être énumérées dans le théorème ou décrites d'avance, une conclusion, c’est-à-dire une affirmation mathématique qui est vraie sous les conditions de base.

La démonstration, bien que nécessaire à la classification de la proposition comme "théorème", n'est pas considérée comme faisant partie du théorème. Autre définition possible d'un théorème : "un énoncé dont on peut démontrer l’exactitude." La démonstration comprend : des axiomes ou des postulats ; les hypothèses du théorème ; d'autres théorèmes déjà démontrés.

Chaque étape de la preuve est liée aux précédentes par des règles d'inférence logiques.

"Il est enfin évident que toutes les vérités se résolvent en définitions, propositions identiques et expériences (bien que les vérités purement intelligibles n’aient pas besoin d’expérience)" : Leibniz fait une distinction entre les "vérités purement intelligibles" qui ne reposent pas sur l’expérience, comme les vérités mathématiques (vérités a priori) et les vérités qui reposent sur l’expérience, comme dans le domaine des sciences de la nature (la physique, la chimie, la biologie). Les vérités mathématiques reposent sur une chaîne hypothético-déductive, une "démonstration qui part des axiomes ou des postulats pour s’arrêter à une conclusion", alors que les sciences de la nature s’appuient sur l’expérimentation. Une théorie est considérée comme « vraie » si et seulement si elle est vérifiée par une expérience décisive. Par exemple, la Loi de la chute des corps de Galilée a été vérifiée par l’expérience des "plans inclinés".
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