Attentat dans une cité scolaire à Arras : décès de notre collègue Dominique Bernard.

Alors on y est retourné. On a repris notre sac exactement là où on l’avait laissé un certain vendredi après-midi. On a compté les collègues qui n’étaient pas là, les plus exposés, les un peu plus fragiles, un peu plus profs d’histoire, un peu plus peu importe, ceux qu’on attendra. Professeurs chevronnés, on a pensé aux jeunes collègues qui commencent drôlement leur carrière. Débutants dans le métier, on a pensé à ceux qui connaissaient Dominique et les autres victimes depuis tant d’années. On y est allé avec notre sensibilité, et puis on s’est mis – on a essayé – au diapason de nos élèves, là un peu plus d’écoute, là un peu plus de normalité – de semblant de normalité. En classe aussi on a compté les absents et on les a notés pour se les rappeler à la rentrée. Evidemment on n’a pas fait les devoirs prévus. On n’a pas été dupes des élèves qui venaient nous voir pour une question sur le cours et finissaient par lâcher une confidence. On a revécu un vendredi avec les mêmes classes, dans les mêmes salles, onze heures est arrivé et il ne s’est rien passé. Les vacances sont là ou presque – encore quelques heures ce samedi matin pour certains – et on regarde derrière soi. On s’est vu avancer toute cette semaine. On a abandonné l’événement, les « Et toi, t’étais où vendredi ? », on sait qu’on ne pourra pas faire le récit de ce qui s’est passé. On a fini par accepter ce qu'on avait refusé avec force il y a quelques jours encore : Dominique est bel et bien mort. On est allé à l’enterrement – ou on n’a pas pu et personne n’a jugé. On s’est serré dans les bras, on a revu les têtes des en-retraite, des mutés, des tzr-qui-sont-passés-par-chez-nous, des collègues d'ailleurs, de tant d'autres. On n’a pas trop amené nos conjoints cette fois-là, eux qui ne peuvent pas comprendre tout-à-fait. On a fait communauté. On a vu, entendu la famille de Dominique et le mot « dignité » nous est apparu dans sa vérité absolue. Le mot "pudeur" aussi. Et de nouveau on est retourné au lycée, avec ses militaires à la porte et ses rires d’élèves qui reviennent. On se raconte quand même ses symptômes, ses troubles d’attention, ses insomnies, ses premiers Lexomil, ce qui fait qu’on tient aussi. Et puis il y a ce qu’on ne dit pas, ce qui n’appartient qu’à soi, ce qu’on se garde pour chez le médecin, le psy, la cellule d’écoute, pour soi, pour les réveils nocturnes, les choses un peu trop lourdes dont on ne veut pas charger les autres. Puisqu’il l’a fallu, on a accepté la vérité dans sa laideur, son horreur. Mais la vérité, seulement la vérité. L’horreur, même si aujourd'hui on ne sait pas trop comment, on ne s’y résignera jamais.

Cassandrine a écrit:Vous avez eu un message des IPR régionaux concernant cette attaque?

Kea a écrit:A Rennes aussi

Austrucheerrante a écrit:Effectivement, et ça continue (même académie).

Adèled a écrit:Je n'ai pas vu de message non plus dans l'académie de Normandie.

Prezbo a écrit:J'ai surtout l'impression que ceux dont on se méfie dans ce message sont les enseignants.

Pierrotlalune a écrit:Difficile de dire précisément ce qu'il faudrait faire exactement et mettre en place en amont pour prévenir ce genre d'acte de barbarie. La sécurité est un métier, et ça ne s'improvise pas.